MTN, la fin d’une èpoque
En offrant 37 milliards de dollars pour le numéro un sud-africain de la téléphonie mobile, l’indien Airtel a lancé la plus importante OPA jamais menée en Afrique. Enquête.
La Bourse de Johannesburg est en pleine forme, et les spéculations autour de l’éventuel rachat de l’opérateur MTN n’y sont pas étrangères. L’index du JSE enchaîne les records depuis le 13 mai, en progression de 1,16 % ce jour-là, 1,21 % le lendemain… Cités comme repreneurs probables du numéro un africain de la téléphonie mobile, le britannique Vodafone, le chinois China Mobile et l’égyptien Orascom ont démenti les rumeurs, confirmant conserver des vues sur le marché africain, mais pas sur MTN. Tous ne les ont pas imités. « Nous cherchons toujours à nous étendre en Afrique, annonçait, le 13 mai justement, Mohammed Omran, président de l’émirati Etisalat. Parmi d’autres, nous évaluons MTNÂ »
De la part d’un groupe qui entend dégager de ses opérations africaines au moins 25 % de ses revenus d’ici à 2011, la déclaration a valeur de mise en garde. Mais elle ne résiste guère à l’analyse. Certes Etisalat, fort de ses implantations en Arabie saoudite (11 millions d’abonnés à fin 2007) et dans son propre pays (6,3 millions), a les moyens de ses ambitions. En mai 2007, il n’a pas hésité à débourser 2,9 milliards de dollars pour emporter haut la main la troisième licence de téléphonie mobile en Égypte. Encore peu présent sur le continent, le groupe s’y déploie rapidement par rachat de sociétés locales. Il vient d’entrer au Nigeria, au Soudan et en Tanzanie, et possède 70 % d’Atlantique Télécom, qui compte 2,9 millions d’abonnés dans sept pays d’Afrique de l’Ouest (marques Télécel et Moov), étant d’ailleurs concurrent de MTN en Côte d’Ivoire et au Bénin.
Une fusion n’est pas exclue
La nouvelle qu’Etisalat pouvait entrer dans la course a fait monter la pression à Johannesburg, où des discussions « exploratoires » entre MTN et le numéro un indien, Airtel (64 millions d’abonnés en Inde), avaient été confirmées le 5 mai, entraînant un bond de l’action de 6,67 % en une journée, à 160 rands. Officiellement, le groupe indien Bharti, maison mère d’Airtel, n’a formulé aucune offre ferme. Le 13 mai, la proposition évoquée était à 165 rands par action, soit 37 milliards de dollars pour 51 % du capital. « Un prix beaucoup trop bas, juge George Glynos, analyste sud-africain chez Econometrix. Aucun actionnaire ne signera à moins de 200 rands. » L’opération se monterait alors à 46 milliards de dollars. Un record africain. Et la plus importante acquisition dans le monde des télécoms depuis la fusion des américains ATT et Bell South, en 2006 (76 milliards de dollars). La démarche de Bharti/Airtel serait soutenue par Azmi Mikati, l’ancien patron d’Investcom, racheté par MTN en 2006, qui détient 9,82 % de l’opérateur sud-africain. Elle pourrait aussi convaincre les cadres dirigeants du groupe sud-africain, qui possèdent 13 % des parts. Il lui faudra séduire le reste d’un actionnariat disparate, dont 63,7 % est flottant.
L’absorption éventuelle de MTN fait couler beaucoup d’encre. Et nourrit toutes les hypothèses, celle d’une fusion paraissant désormais plausible. Un communiqué de Bharti, daté du 13 mai, l’étaye, évoquant la « combinaison des forces de deux leaders des marchés émergents ». Avec Vodacom, dont l’entreprise publique Telkom possède 50 % avec le britannique Vodafone, « le gouvernement sud-africain a déjà son champion, estime Tim Cohen, rédacteur en chef de Moneyweb. Il a laissé entrer les Britanniques dans Absa ou les Chinois dans Standard Bank, il n’y a pas de raison qu’il s’oppose à l’entrée des Indiens dans MTN. Une fusion rendrait les OPA hostiles plus difficiles. Ils maintiendraient leurs fortes croissances. » Ils représenteraient aussi 132 millions de clients et formeraient le sixième groupe mondial. « Une fusion serait intéressante pour MTN dans la perspective expansionniste qui est la sienne, complète George Glynos. Ce groupe a beaucoup de projets dans les trois ans. On comprend l’intérêt des étrangers »
De fait, les résultats du sud-africain ont de quoi séduire : 68,2 millions de clients répartis dans 21 pays d’Afrique et du Moyen-Orient au premier trimestre 2008, en progression de 11 % par rapport à la fin 2007. La hausse se poursuit sur le flanc oriental, notamment grâce à la croissance fulgurante de MTN Irancell : le nombre de clients iraniens a progressé de 50 % au premier trimestre 2008, à 9 millions. Autre exemple ? Au seul Soudan, sur un marché très concurrentiel (dont MTN occupe 28 %), la base d’abonnés a augmenté de 96 % en 2007.
Quelle que soit la forme de l’alliance avec Airtel, son arrivée dans le capital de MTN signera la disparition d’une entreprise « 100 % africaine ». Bâti en 1994 dans la foulée de l’avènement démocratique, en pleine folie postapartheid, le groupe est devenu l’un des joyaux de l’économie sud-africaine noire. Présidé par Cyril Ramaphosa, à la fois enfant de Soweto, militant anti-apartheid, négociateur de la Libération et syndicaliste chevronné devenu l’un des magnas du Black Economic Empowerment (BEE), MTN est invariablement cité comme l’un des symboles de « l’Afrique qui réussit ». Une identité forte qui laisse aujourd’hui de nombreux analystes dans le flou. « Dans des pays comme le Nigeria, l’Iran ou l’Afghanistan, les licences ont été signées parce que l’opérateur était sud-africain C’est un vrai obstacle pour Airtel », rappelle Tim Cohen. « Le gouvernement sud-africain ne placera pas facilement un groupe noir au succès incontestable entre les mains d’un étranger dont on ignore s’il partage les mêmes objectifs », tranche George Glynos. Bharti l’a compris et donne des gages : le président du conseil d’administration, Cyril Ramaphosa, et le PDG, Phuthuma Nhleko, seraient maintenus dans tous les cas.
42 % du CA en Afrique de l’Ouest
Le groupe indien veut prendre part au succès. Lequel est quasi linéaire depuis près de quinze ans. Trois ans après un lancement réussi en Afrique du Sud, MTN s’était attaqué au reste du continent en 1997, en achetant d’abord des licences en Ouganda, au Rwanda et au Swaziland. L’Afrique de l’Ouest et centrale allait suivre, devenue aujourd’hui la région la plus rentable (42 % du CA). MTN s’est enrichi sur des marchés certes risqués, mais lucratifs. En 2007, le groupe enregistre de fortes progressions de sa clientèle au Nigeria (+ 34 %), au Ghana (+ 54 %), en Côte d’Ivoire (+ 65 %) et au Cameroun (+ 44 %). Des opérations en Angola et au Sénégal, où il n’est pas présent, sont envisagées cette année. « Nous continuerons de rechercher activement des opportunités dans les marchés émergents », a promis Phuthuma Nhleko, début 2008, en annonçant un bénéfice net de 11,9 milliards de rands (1 milliard d’euros) en 2007.
L’expansion africaine est loin de s’achever, qui devrait se traduire par un gain de 21,8 millions d’abonnés en 2008 Quelque 30,5 milliards de rands (plus de 2,5 milliards d’euros) de dépenses de capital seront consacrés à la décongestion de certains marchés, notamment au Nigeria – objectif : 5 millions de nouveaux abonnés en un an – et au Ghana. L’an dernier, les dépenses d’investissement de MTN n’atteignaient pas la moitié de cette somme Au fil des années, le succès de la stratégie africaine a rendu presque évidente la conquête du Moyen-Orient. À une époque où nombre d’analystes vouaient la téléphonie africaine aux investisseurs étrangers, MTN mettait la main, pour 5,5 milliards de dollars, sur le libanais Investcom LCC, basé à Dubaï. C’était en juillet 2006.
La suite de l’histoire s’écrit en ce mois de mai 2008. Fusion ou acquisition, elle sonnera la disparition du dernier opérateur africain. Un domaine où se sont illustrés des pionniers comme le Rwandais Miko Rwayitare, qui fonda Télécel en 1988. Après un passage par Orascom, son groupe a été vendu par appartements en 2001, notamment à Etisalat. Quant à Celtel, autre fierté d’Afrique subsaharienne, c’est maintenant son nom qui disparaît (lire encadré). MTN tourne aussi la page. Le groupe vient de repousser la date de parution de son rapport annuel. Promis initialement pour le 12 mai, il sera finalement remis le jeudi 22 mai. Sauf si la date évolue encore, indique son site InternetÂ
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