Mon Tozeur à moi…

Publié le 19 mai 2008 Lecture : 3 minutes.

Malgré un premier exil qui avait emmené ma famille à Tunis, un second qui m’a fait m’établir en Europe depuis trente ans, Tozeur a toujours constitué pour moi un pôle de magnétisme spirituel et affectif très fort. Je ne devais faire sa connaissance qu’à l’âge de 17 ans. Pourtant, tout l’évoquait autour de moi : les conversations, la cuisine, le dialecte des miens. Ce magnétisme exercé de si loin était dû, surtout, à la prégnance spirituelle islamique dans laquelle mon enfance fut ancrée : dès que j’ai eu 3 ans, selon la « pédagogie » tozeuroise des taleb, mon père a commencé à m’apprendre le Coran. L’urbanisme européen de Tunis allait nous fournir notre kuttab (école coranique), puisque c’est dans le trolley que mon père se chargeait de mon éducation religieuse, me dispensant son savoir pendant que le train faisait le tour des faubourgs de la capitale des heures durant. L’enseignement était en arabe coranique, mais les engueulades que mon paternel m’infligeait devant les autres passagers étaient en pur tozeurois.
Le jour où j’ai foulé le sol de Tozeur, ce fut sur les hauteurs de Sidi Bouhlal et à proximité du chott. Mon père m’a alors montré un mirage, le situant pertinemment dans la sourate XXIV de la Lumière, verset 39, où il est dit : « Les actes de ceux qui n’ont pas la foi sont tels un mirage dans une cuvette aride. L’assoiffé prend le mirage pour de l’eau mais, dès qu’il arrive, il ne trouve rien. » Cette introduction à un Tozeur que je n’avais jamais vu de ma vie allait le situer dans une géographie différente de celles des territoires réels.

Généralement, je prends possession de cette ville en pressant le pas vers la palmeraie. J’explore la jungle d’un éden aux trois niveaux de végétation luxuriante. D’abord, les petits légumes, piments nains, tomates cerises ou choux. Puis, l’étage des arbres fruitiers : succulentes figues, pêches blanches et charnues. Enfin, au-dessus, l’étage ultime de ce premier plant du paradis : le palmier. Et, très curieusement, cette randonnée des temps premiers de la Création me transporte vers le Palmyre de la reine Zénobie, prestigieuse prisonnière d’Aurélien, trois siècles avant Jésus-Christ, dont mon père m’avait appris les poèmes. Dès lors, Tozeur est pour moi, définitivement, la « rampe de lancement » de mes plus beaux fantasmes. Elle réunit dans ma chair tout ce qui fait le monde, à chaque fois.
Deux souvenirs me lieront à cette terre que je désire rejoindre le jour venu. Le premier, j’étais au berceau, ma mère à côté, seul un chat lui tenait compagnie. Brusquement, celui-ci a sauté sur moi. Convaincue qu’il allait me dévorer, ma mère a bondi, l’a agrippé par la nuque et l’a jeté contre le mur. Elle m’a pris dans son giron, m’a donné le sein et je me suis rendormi. C’est là qu’elle a constaté que le chat ne bougeait plus. L’animal gisait les pattes en l’air, un énorme scorpion remuant dans sa gueule. Il venait de me sauver d’une mort certaine ! Depuis, je respecte tous les animaux à Tozeur, y compris les vipères.

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Le second événement concerne mon père. Il venait de décéder à Tunis. Nous savions tous qu’il chérissait Tozeur et j’étais le seul fou à proposer de l’enterrer dans sa terre natale. Tout le monde s’était mis à me raisonner, arguant que ceux qui tenaient à assister aux funérailles étaient trop nombreux et qu’il serait onéreux de les déplacer dans le Sud. J’ai dû m’entêter et m’endetter pour mettre à leur disposition tous les moyens de transport possibles. Trois jours après l’enterrement, de retour à Tunis, j’ai trouvé dans son couffin – qui lui tenait lieu de table de chevet -, un petit poème dans lequel il se demandait où il allait être inhumé et qui finissait ainsi :
Est-ce à Tunis, ma mort ?
Comme un étranger lesté de dettes !
Dieu ! La terre de Tozeur !
Celle qui a pris racine au plus profond de mon cÂur.

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