Majid el-Houssi
L’écrivain et universitaire tunisien est décédé le 10 mai en Italie, son pays d’adoption. Il avait 66 ans.
« Majid est parti. » C’est sur ces simples paroles que Pia, son épouse, a annoncé la nouvelle. Avant d’ajouter : « Il a préféré rester avec nous. Il ne sera pas enterré à Aïn Draham, mais à Florence. »
Tel était Majid el-Houssi, décédé le 10 mai des suites d’une longue maladie. Tunisien d’origine et de cÂur mais épris d’une folle passion pour l’Italie. C’est dans ce pays qu’en 1962, alors jeune bachelier, il pose ses bagages. Et c’est là que, pendant des années, sa maison a accueilli nombre d’écrivains maghrébins devenus aujourd’hui célèbres : Tahar Ben Jelloun, Abdelwahab Meddeb et bien d’autres encore. Pia recevait tout ce monde sans façon et écoutait ses hôtes disserter durant des heures sur la littérature, l’islam, la Méditerranée. Puis Majid les emmenait visiter Padoue ou Venise, faisant le guide des musées et des demeures célèbres, commentant les fontaines historiées et les statues Puis il invitait ses amis dans un de ces excellents restaurants qui le recevaient comme un prince. Car Majid, qui avait le verbe évocateur des poètes, possédait également l’allure majestueuse des princes.
Malgré sa passion pour la Péninsule, Majid n’a jamais rompu avec la Tunisie. Les souvenirs de son enfance à Aïn Draham, petite cité du Nord tunisien, sont très présents dans ses pages dédiées à l’Italie, comme dans Une journée à Palerme (2004). À Tunis, il retrouvait souvent ses amis et lecteurs. Il y fut décoré du titre de Grand Officier au mérite éducatif de la République tunisienne.
Majid el-Houssi aura été ce qu’on appelle un « pont », un de ces rares passeurs qui n’ont de cesse de renouer des liens au travers de l’histoire de la Rencontre (il écrivait toujours ce mot avec une majuscule) des cultures. Toute son oeuvre en témoigne, soit une vingtaine d’essais et huit romans centrés sur le thème de la sédimentation culturelle, du voyage des mots (Les Arabismes dans la langue française), ou des influences littéraires : « La plupart de mes textes, confiait-il, ne sont qu’un va-et-vient entre les deux rives, un dialogue continu entre la Tunisie et l’Italie. » Une des facettes de sa passion fut, en particulier, de chercher dans l’architecture comme dans les coutumes européennes, dans les mots comme dans les rituels, les influences arabes que l’Europe « ne peut nier sans commettre un autogénocide », affirmait-il. C’est à lui qu’on doit les plus belles pages sur l’empereur Frédéric II (1194-1250), figure symbole du dialogue islamo-chrétien ; de riches investigations sur les sources de la civilisation arabo-normande ; et les rencontres dans les universités italiennes des francophones du monde entier. Car ce Tunisien d’Italie était aussi un francophone pur jus. Directeur de l’institut des langues à l’Université polytechnique d’Ancône puis professeur titulaire de la chaire linguistique Ca’Foscari de Venise, il avait pour charge l’enseignement du français. Une langue dans laquelle il a écrit toute son Âuvre.
La dernière fois où j’ai vu Majid el-Houssi, c’était à Tunis, il y a six mois. Il avait beaucoup maigri et se déplaçait avec difficulté. Mais son regard avait gardé la même pétillance, et sa voix son trémolo latin. Pia m’avait chuchoté : « Il a dit que c’est son dernier voyage en Tunisie. » Elle savait qu’il savait. Et qu’il avait déjà choisi de reposer loin des plaines de Aïn Draham et du mausolée de ses ancêtres. Mais peut-être est-ce là, la vraie, l’ultime Rencontre avec l’Autre : accepter de passer l’éternité chez lui. Que la Méditerranée des deux rives le berce en paix !
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