L’oasis majuscule

Jadis important relais commercial et culturel du continent, la cité saharienne aspire aujourd’hui à devenir la capitale du sud de la Tunisie.

Publié le 19 mai 2008 Lecture : 4 minutes.

Le temps est rarement à la fraîcheur, le vent de sable menace, la mer est loin, certes, mais il fait si bon vivre à Tozeur Un îlot de verdure, bordé par le chott et le désert, au milieu du « Pays des palmes » : le Djerid tunisien. Ici, tout est contraste : l’erg et l’oasis, la sécheresse et l’abondance des sources d’eau, le calme de la nature auquel succèdent les tempêtes de sable. Ces contrastes sont à l’origine de la force mystique d’une région connue pour ses confréries religieuses et ses multiples saints – comme Sidi Bou Ali, patron de Nefta et du Djerid -, dont certains sont vénérés dans toute la Tunisie. Mais Tozeur la musulmane fut aussi hébraïque et chrétienne : ?les catholiques, sous l’influence de saint Augustin, ont légué certains rites, dont le « Sidi Yuba », qui ?consiste à baptiser les garçons avant la circoncision.
Depuis l’époque antique, Thusuros (nom latin de Tozeur), qui avait vu se développer la civilisation préhistorique caspienne, était un point de passage lors des migrations des tribus africaines. « Tous les jours que Dieu fait, racontait le grand historien Ibn Khaldoun, quelque mille dromadaires sortaient de la ville vers l’Afrique et l’Asie », parlant de la voie qui reliait les deux continents et dont le parcours fascinera l’imaginaire d’écrivains comme André Gide, Charles Tissot, Jules Verne ou Ferdinand de Lesseps.
Pendant la période médiévale, la région était appelée « pays de Qastiliya », parce qu’elle était une suite de village fortifiés, les castella. Cette caractéristique, de même que la situation géographique retranchée de la ville, a fait naître chez le Tozeurois une fibre contestataire et une identité très forte. Tozeur servira, à travers les siècles, de refuge pour toutes sortes de dissidents, du donatisme chrétien au chiisme et au kharidjisme, pour devenir, à la fin du Moyen Âge, le siège de principautés indépendantes du pouvoir central, reconquises ensuite par la dynastie hafside.
Celle qu’on appelait, au XIIe siècle, « la petite Basra » était aussi un centre culturel florissant. Elle accueillait de nombreux théologiens issus d’un réseau d’écoles coraniques et de zaouias, dont témoigne encore le « Mur du savoir » de Nafta, situé à une vingtaine de kilomètres de Tozeur : les étudiants du Djerid avaient coutume de déposer leurs livres entre les interstices des murs de la cité à l’intention d’autres lecteurs, qui se devaient de les lire et de les remettre en place à leur tour. Une sorte de bibliothèque à ciel ouvert servant à transmettre la culture. La pratique a subsisté jusqu’aux années 1930, et elle est encore perceptible dans l’habitude qu’a le Tozeurois de ramasser par terre tout journal en langue arabe pour le coincer entre deux briques.
Les élites, qui ont de tout temps maîtrisé la langue du Coran, ont également insufflé une tradition orale qui compte parmi les plus riches du Maghreb, ainsi qu’un patrimoine poétique, décliné en arabe dialectal comme en arabe classique. Tozeur est surtout la ville natale du poète Aboul Qassem Chebbi, dont l’oasis fêtera le centième anniversaire en 2009. De même, elle fut la terre de naissance du poète Chakratsi (XIIe siècle) et de son contemporain, le grammairien Abou al-Fadhl Nahwi. La région a continué à donner à la Tunisie de grands hommes, tels que le tout premier ministre de l’Éducation, Lamine Chebbi, l’ancien ministre et ambassadeur Moncer Rouissi, le philosophe Youssef Seddik (voir p. 56), l’illustre généticien Marc Fellous (chef de l’unité d’immunogénétique humaine de l’Institut-Pasteur de Paris), de célèbres médecins, comme le chirurgien Raouf Chérif, sans compter un contingent de juges et d’avocats du barreau de Tunis.

Une identité spécifique
Comme les îles, les oasis possèdent une identité forte, et celle de Tozeur est d’abord visible à travers son architecture. Le patrimoine archéologique est discret et sobre, enfoui dans les palmeraies et les médinas de terre et d’argile. Nulle part ailleurs en Tunisie on ne trouve ces maisons construites en briques de terre cuites et séchées, façonnées pour résister à la chaleur, par un jeu de retraits et de saillies en façade qui augmente la surface ombrée. Hélas, les gens du pays ont déserté l’ancienne médina, et les nouvelles constructions ne respectent pas toujours l’harmonie architecturale ni les formes traditionnelles appropriées aux villes du désert.
À quelques pas de la cité, la palmeraie, aussi appelée ghaba (« forêt ») a plusieurs fois servi de décor de cinéma (Star Wars, Le Patient anglaisÂ).
Le Tozeurois est connu pour son esprit rebelle. « Il est anticonventionnel par définition, toujours en marge des procédures et des règles administratives, commente le journaliste Abdellatif Chérif, natif du pays. Il s’est d’ailleurs illustré au Xe siècle en fomentant la ÂThawrat Sahib al-Himar », révolte initiée par Abou Yazid Ibn Kaydad, qui ébranla le régime des Fatimides en menant une insurrection qui dura douze ans (935 – 947) et s’étendit sur tout le territoire de l’Ifriqiya.
Le Tozeurois est également connu pour son humour. Enfin, le rapport qu’il a avec Dieu est particulier. S’il a la foi la plus solide, il considère Allah comme son « copain ». Alors, il lui parle, le houspille, le prie, le gronde, lui jette des pierres les jours où le ciel est avare de pluie. Surtout, il a l’imaginaire très fertile quant aux choses de l’au-delà et invente des fictions sur l’enfer ou le Jugement dernier, qui laissent béat l’étranger.
Pour autant, ce dernier est accueilli à Tozeur comme un roi. Profitant de son passage pour déguster des mets typiquement djéridiens, il appréciera l’éternelle mtabga, pâte préparée en sandwich farcie de légumes, le morchan, à base de pousses de navets, ou encore la chakhchoukha, pain coupé en morceaux et accompagné de ragoût. De quoi faire oublier la fatigue du voyage et donner un sentiment d’abondance en plein désert.

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