Le temps des incertitudes

L’archipel organise la IVe Conférence internationale de Tokyo pour le développement de l’Afrique (Ticad) du 28 au 30 mai et le sommet du G8 en juillet. Mais l’ambiance est morose : le gouvernement voit sa marge de manoeuvre se réduire face au tassement de

Publié le 19 mai 2008 Lecture : 5 minutes.

C’est un Yasuo Fukuda sous le feu des critiques et terriblement fragilisé qui accueillera, à Yokohama, la quarantaine de chefs d’État et de gouvernement africains à l’occasion de la quatrième Ticad, la Conférence internationale de Tokyo pour le développement de l’Afrique. L’économie donne des signes d’essoufflement. Le moral des ménages est en berne. Et le Premier ministre, en fonction depuis le 25 septembre 2007, bat des records d’impopularité, épinglé par les éditorialistes pour son manque d’autorité. Ce conservateur bon teint, âgé de 72 ans, fils aîné de l’ancien Premier ministre Takeo Fukuda (1976 à 1978), considéré comme un modéré et surtout comme un homme d’expérience, avait été préféré à Taro Aso, l’ancien ministre des Affaires étrangères, après la démission surprise de Shinzo Abe. Mais, en réalité, cette nomination à la primature avait tout du cadeau empoisonné.
Le 29 juillet 2007, le Parti libéral démocrate (PLD), qui dominait sans partage la scène politique de l’archipel depuis 1955, a essuyé une cinglante défaite aux sénatoriales et perdu la majorité à la Chambre des conseillers (Sénat) au profit de l’opposition emmenée par le leader du Parti démocrate, Ichiro Ozawa. Or le système bicaméral japonais octroie presque autant de prérogatives au Sénat qu’à la Chambre des représentants, et offre aux conseillers des possibilités d’obstruction considérables. Dauphin du flamboyant Junichiro Koizumi, qui a gouverné aux destinées de l’archipel pendant six ans, entre février 2001 et octobre 2006, Shinzo Abe avait effectué des débuts encourageants, et réalisé une importante réforme constitutionnelle, autorisant les Forces d’autodéfense japonaises (FAD) à effectuer des missions de maintien de la paix outre-mer. Il avait poursuivi le cap des réformes structurelles entamées par son prédécesseur, tout en réchauffant les relations avec Pékin et Séoul. Abe a néanmoins perdu les faveurs de l’opinion après une série de bourdes retentissantes et d’affaires de corruption. En moins d’un an, quatre de ses ministres, dont celui de la Défense, ont été acculés à la démission et l’un d’entre eux, celui de l’Agriculture, s’est même suicidé. Mais c’est sans doute l’incroyable scandale des retraites disparues, dont il n’est que très partiellement responsable, qui lui a politiquement coûté le plus cher. En mai 2007, la population a découvert avec stupéfaction que l’administration avait égaré pas moins de 50 millions de relevés de cotisation au régime de retraites. Une énorme négligence qui risque de priver de leurs droits une partie des cotisantsÂ

Crise de leadership
Fukuda, dont le charisme n’est pas la première des qualités, a donc hérité d’une situation politique particulièrement difficile. Et n’a pas été épargné par l’opposition. Fait sans précédent depuis 1923, le siège de gouverneur de la Banque centrale est resté vacant du 20 mars au 9 avril 2008, conséquence du rejet, par l’opposition démocrate des deux premiers candidats présentés par le gouvernement. La Ticad et le sommet du G8 d’Hokkaïdo devraient donner un peu de répit au Premier ministre Fukuda, mais chacun spécule déjà sur une reprise des hostilités une fois passées ces grandes échéances diplomatiques. La situation pourrait rapidement devenir intenable, car l’archipel est aujourd’hui, de facto, paralysé. Faute de soutien parlementaire, Fukuda ne peut en effet prendre aucune initiative d’envergure.

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La croissance au ralenti
Pour la plupart des observateurs, une dissolution semble inéluctable. L’opération aurait le mérite de clarifier les choses. Et, en cas de succès des libéraux, elle obligerait politiquement les sénateurs démocrates à se montrer plus coopératifs avec l’exécutif. Paradoxalement, en effet, l’opposition n’est pas en situation de force : son leader, Ichiro Ozawa, est contesté et peine à incarner une alternative crédible. « Dans ces conditions, estime un ambassadeur en poste à Tokyo, sauf si Fukuda parvient à capitaliser sur un succès diplomatique éclatant pendant le G8, un troisième homme, comme Taro Aso, pourrait rafler la mise de la dissolution. Il est plus marqué à droite que l’actuel Premier ministre, mais c’est un bon tribun, et il a envie du poste. C’est l’homme qui monte aujourd’hui. »
En attendant, l’ambiance est à la morosité. Après une décennie de purge, conséquence de la crise née de l’éclatement de la bulle spéculative immobilière, l’économie japonaise, traditionnellement orientée vers les exportations de biens manufacturés, avait retrouvé des couleurs, en profitant à plein de la croissance chinoise. Mais les indicateurs sont passés à l’orange. Et les prévisionnistes les plus pessimistes tablent sur une croissance de l’ordre de 1 % pour l’exercice 2008-2009. Un tassement qui s’explique par le ralentissement de l’économie américaine. L’appréciation du yen face au dollar et la flambée du cours du baril n’arrangent rien. L’indice de confiance des entreprises, mesuré par l’indice Tankan, est en chute libre, et les prévisions d’investissement en recul de 3,3 % pour l’année fiscale 2008 (qui a commencé en avril). Ce qui fait dire à certains économistes que l’archipel est à l’aube d’une nouvelle récession. Problème : la marge de manÂuvre des autorités est inexistante. La dette publique atteignant un niveau insupportable (170 % du PIB), il est difficile d’imaginer une vigoureuse relance budgétaire. Reste le levier monétaire, via les taux d’intérêt. Mais le taux directeur de la Banque du Japon est déjà à un niveau historiquement bas, le plus faible de tous les pays industrialisés : 0,5 %.
Les perspectives à long terme ne sont guère plus rassurantes. Si rien ne change dans les comportements, le Japon perdra le quart de sa population d’ici à 2050 et verra le nombre de ses habitants passer de 128 millions à 94 millions. Le déclin démographique n’est pas une spécificité japonaise, il concerne déjà la Corée du Sud, affectera bientôt Singapour, la Thaïlande, et même la Chine d’ici une vingtaine d’années. Mais il est beaucoup plus accentué au Japon qu’ailleurs. Les répercussions du vieillissement sur l’économie et l’équilibre du régime des retraites seront incalculables. Jusqu’à présent, l’innovation, la robotisation et la spécialisation sur des secteurs à haute valeur technologique ajoutée ont permis au Japon de se maintenir à flot. « Cela ne suffira plus très longtemps, estime Minoru Oobayashi, professeur d’économie à l’université de Kyoto. Tout doit être repensé, remis à plat. Il faut inventer un nouveau pacte social, définir de nouvelles relations avec nos voisins, envisager un recours raisonné à l’immigration, pour injecter du sang neuf à l’économie. Or c’est là que le bât blesse ! Il n’y a pas de vision. La crise japonaise est d’abord une crise de leadership. Nos politiques manquent d’envergure, d’idées, d’imagination, d’audace. À bien des égards, le pays se trouve dans une situation similaire à celle de l’Angleterre du milieu des années 1970. Avec Koizumi, nous avons eu notre Margaret Thatcher. Aujourd’hui, nous attendons toujours notre Tony Blair. »

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