[Tribune] Le coronavirus frappera les économies africaines par vagues
Tout comme les crises précédentes que sont l’épidémie d’Ebola et la crise financière, le Covid-19 devrait affecter l’Afrique en trois vagues successives ou concomitantes.
Les effets de première vague, liée au transport et au tourisme, se font déjà ressentir. C’est la plus rapide des ondes de choc. Les compagnies aériennes africaines n’ont jamais été soumises à un décrochage aussi massif du trafic sur une période aussi longue. Leurs pertes devraient s’aligner sur celles de l’industrie aéronautique mondiale (-20 %, au minimum) et posent la question de l’urgence d’un plan de soutien des États pour des transporteurs aériens africains qui ne disposent que de deux mois de cash.
L’onde de choc sur le secteur du transport et du tourisme pourrait coûter quelques dixièmes de points de PIB à l’Afrique et des emplois directs, indirects et induits.
À l’échelle africaine, ces deux secteurs comptaient respectivement pour 8,5 % du PIB et 6,7 % des emplois sur le continent en 2018 et plus de 8 % du PIB dans 6 des 10 premières économies africaines. Si cette pandémie est résolue avant le début de la saison estivale, le pire sera évité pour le continent. À défaut, pour de petits pays pour lesquels ces deux secteurs sont systémiques comme les Seychelles, 2020 pourrait être une « annus horribilis ».
- Le séisme à retardement des échanges commerciaux
La deuxième vague, aux effets plus prononcés, s’explique par l’intégration de l’Afrique au commerce mondial. Tout comme pour la crise financière, le canal du commerce devrait affecter l’Afrique avec plusieurs semaines de retard. Le coronavirus sera un séisme pour l’économie chinoise et à fortiori pour ses principaux partenaires commerciaux africains.
Avec la propagation mondiale de la crise, les conséquences commerciales du Covid-19 doivent être jugées à l’aune de la crise financière de 2007-2008. Suite à cette dernière, la croissance a perdu 3,5 points de PIB en Afrique subsaharienne et les exportations ont fondu de 30 % en Afrique. Encore une fois, les pays exportateurs de minerais devraient être les principales victimes.
Mais aussi ceux dont les exportations sont fortement concentrées sur quelques produits ou pays. Et tout comme en 2009, ce ne sont pas les volumes exportés qui devraient fléchir mais plutôt les cours à l’instar du cuivre qui a atteint son plus bas niveau depuis 2009. Quant aux recettes pétrolières, budgétées sur base des cours de 2019, elles pourraient baisser de près de 30 %.
- La troisième vague, l’arrivée du virus lui-même
Au final, la troisième vague s’inscrit dans les perturbations créées par la diffusion locale du coronavirus. La peur de la contagion, à elle seule, a interrompu les activités dans les zones affectées par Ebola en 2013-2014. Les mesures de confinement auront un impact sur la production et les flux commerciaux domestiques, notamment entre zones rurales et villes.
Ces perturbations réduiront les revenus des agriculteurs mais aussi de la majorité des citadins qui vivent dans l’informel, sans aucun filet de sécurité sociale et gagnent leur vie jour après jour. Elles pourraient impacter les indicateurs de scolarisation et de nutrition, notamment en cas de spéculation sur les marchés agroalimentaires alimentée, tout comme en 2008-2009, par une partie de la liquidité injectée par les banques centrales de l’OCDE pour faire face à la crise.
La crise pourrait se traduire par une baisse des investissements, un ralentissement du crédit mais aussi une hausse des créances douteuses bancaires et des pressions inflationnistes. Au final, pour organiser la riposte sanitaire, soutenir leurs entreprises, préserver l’emploi, soutenir la consommation des ménages, les pays africains devront augmenter leurs passifs. En l’absence de mécanismes de soutien internationaux, leur dette pourrait devenir insoutenable, une bien curieuse récompense à leur contribution à un bien public mondial aujourd’hui apprécié à sa juste valeur : la santé.
En combinant ces différents effets, l’Afrique devrait tanguer dans les mois à venir. Pour l’UNECA, la croissance devrait baisser de 1,5 points, soit 1,8 % en 2020. La bande de fluctuation pourrait être encore plus large, avec même des possibilités de récession. Ebola et ses conséquences économiques fournissent un autre benchmark.
En 2014, les trois pays d’Afrique de l’Ouest touchés par cette pandémie ont perdu entre 2 à 5 points de PIB. Les recettes fiscales s’y sont contractées, entraînant une hausse des déficits publics de plusieurs points de PIB. Face à ces effets potentiels de la crise, les pays africains, même les plus avancés, gagneraient à coordonner leur riposte sanitaire et économique mais aussi leur plaidoyer international.
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