Coronavirus : « En République du Congo, on peut encore limiter les dégâts »

Francine Ntoumi, directrice de la Fondation congolaise pour la recherche médicale, s’inquiète du faible niveau de préparation de son pays, le Congo, et de ses voisins. Mais pense qu’il n’est pas trop tard pour limiter la pandémie.

La biologiste congolaise Francine Ntoumi, spécialiste des maladies infectieuses, qui dirige la Fondation congolaise pour la recherche médicale. © David Mattiessen

La biologiste congolaise Francine Ntoumi, spécialiste des maladies infectieuses, qui dirige la Fondation congolaise pour la recherche médicale. © David Mattiessen

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Publié le 25 mars 2020 Lecture : 4 minutes.

La République du Congo et ses voisins sont encore peu touchés par le coronavirus. Au 25 mars, quatre cas étaient recensés dans le pays lui-même, 48 en RDC, 6 au Gabon, et deux en Angola.

Mais pour la biologiste Francine Ntoumi, spécialiste des maladies infectieuses qui dirige la Fondation congolaise pour la recherche médicale, les autorités perdent du temps et risquent de se laisser rattraper par la maladie.

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Elle participe actuellement à une vaste étude internationale, menée sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé et plaide pour que les scientifiques, notamment africains, soient invités à jouer un rôle plus important dans la lutte contre le virus.

Jeune Afrique : Quelle est la situation sanitaire au Congo actuellement ? Et diriez-vous que le pays est prêt à faire face à une expansion de la pandémie ?

Francine Ntoumi : La situation est tendue. Pour l’instant nous n’avons que quatre cas recensés. Nous utilisons les mesures barrières, bien sûr, et nous avons lancé une étude sérologique auprès de la population, selon les demandes de l’OMS, afin d’essayer de comprendre le scénario dans chaque pays.

C’est là que les scientifiques africains peuvent contribuer à l’effort collectif, c’est très important. De là à dire que nous sommes prêts…

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En fait, j’ai l’impression que nous sommes en permanence dans la préparation. La semaine dernière, les autorités ont sélectionné des hôpitaux censés accueillir les cas qui seraient identifiés, ces hôpitaux doivent être équipés, le personnel formé.

Mais on se préoccupe de tout à la dernière minute. En Afrique, nous avions d’une certaine façon un train d’avance, puisque la maladie est arrivée tardivement chez nous. Mais on a attendu, et maintenant nous avons plutôt un train de retard.

Une « task force » sans scientifiques, effectivement c’est… embêtant

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Les autorités congolaises ont mis en place une task-force chargée de préparer la riposte, mais elle ne comprend que des politiques. La gestion de cette crise ne mérite-t-elle pas d’impliquer les spécialistes ?

Oui. Et cela m’attriste. Nous avons eu Ebola, nous avons eu le Chikungunya, maintenant nous avons le Covid-19 qui arrive, et pourtant nos responsables ne semblent toujours pas comprendre que les scientifiques ont un rôle à jouer.

Cela dit, la lutte contre la pandémie est coordonnée conjointement par les ministère de la Santé et de la Recherche, et l’étude que nous menons est placée sous l’autorité du ministre de la Recherche, Martin Parfait Aimé Coussoud-Mavoungou, qui est quelqu’un de très dynamique.

Mais une « task force » sans scientifiques, effectivement c’est… embêtant.

La mise en place d’un comité scientifique est également envisagée. Avez-vous été contactée pour y participer ?

Oui, le ministère de la Santé m’a sollicitée. J’aimerais en faire partie, bien sûr, d’autant que je suis en lien étroit avec des collègues au plan international, ce qui serait très utile. Mais pour l’instant ce n’est pas clair, on ignore quand il sera mis en place.

La maladie est arrivée tard en Afrique. Peut-on prévoir l’ampleur qu’elle prendra ? La propagation risque-t-elle d’être aussi rapide et importante qu’en Asie ou en Europe ?

Justement on ne sait pas ! On n’a que des hypothèses. Il faut tenir compte de l’écosystème, du mode de vie, des habitudes alimentaires… Chez nous, les gens ont tendance à vivre les uns sur les autres, toutes les générations sous le même toit, donc il est surprenant que la contagion n’explose pas. Et puis au Congo on mange des chauves-souris… C’est là que les scientifiques africains peuvent apporter des réponses : en étudiant le contexte de chaque pays, la séroprévalence des nos populations…

Y a-t-il la crainte de voir la maladie arriver au Congo depuis les pays voisins ?

Non. Les frontières ont été fermées avec la RDC, mais c’est dans le cadre du confinement. Il n’y a pas de psychose du voisin, car nous sommes tous à peu près au même stade, avec peu de cas, et seulement un mort au Gabon. On commence plutôt à adapter notre mode de vie : les veillées funéraires sont interdites, les mariages également…

Je ne suis pas encore inquiète, non. Je ne peux pas me permettre de l’être.

L’Afrique a-t-elle tiré des leçons des épidémies précédentes ?

Oui, certainement. Ebola nous a permis de voir qu’il fallait un niveau minimum de formation, beaucoup de pays ont renforcé leurs capacités. Mais je ne suis pas certaine, quand je vois l’Italie, que le nombre de morts soit directement lié au niveau de préparation d’un pays.

Pensez-vous qu’il faille s’inspirer de la gestion de la crise sanitaire par la Chine ?

Ce que la Chine nous montre, c’est l’importance de l’organisation, le leadership… Désolée, ça sonne un peu comme un slogan maoïste, mais c’est vrai… On a vu la Chine émerger économiquement, depuis le début de cette crise on voit aussi qu’ils ont un très bon niveau scientifique, qu’ils ont fait énormément d’essais cliniques. Ils nous montrent l’exemple, oui.

Êtes-vous inquiète pour le Congo ?

La population congolaise n’est pas immense, donc je pense qu’on peut encore limiter les dégâts. Mais il faut des respirateurs… Il faut anticiper, en fait. Je ne suis pas encore inquiète, non. Je ne peux pas me permettre de l’être.

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