Gévrise Emane
La judokate originaire du Cameroun est l’une des meilleures chances françaises de médaille d’or aux jeux Olympiques de Pékin en août.
Ciel de béton, légère odeur de sueur, silence religieux perturbé par quelques cris lâchés dans l’effort Le quotidien de l’élite du judo français ne donne pas dans la paillette ! C’est dans un gymnase anonyme de l’Insep (Institut national du sport et de l’éducation physique), vaste complexe s’étendant sur 34 hectares, dans le bois de Vincennes, à l’est de Paris, que s’entraînent les champions qui s’envoleront bientôt pour la Chine. Dans cette valse des corps, difficile de repérer Gévrise Emane. Et puis l’on finit par remarquer son nom inscrit en majuscules au dos de son kimono.
Gévrise n’est pas un David Douillet en jupons, mais un beau brin de fille de 26 ans. Une battante qui a pris des coups (un bandage protège sa main droite), s’est endurcie à force d’exercices de musculation, tout en préservant sa féminité. Ses fines tresses attachées en queue-de-cheval découvrent un visage aux traits détendus, volontiers souriant, qui tranche avec les grimaces douloureuses de certains de ses partenaires d’entraînement.
Autre particularité, elle mesure tout juste 1 mètre 62, soit une tête de moins que la plupart des adversaires de sa catégorie (moins de 70 kg). Quand l’entraîneur l’appelle pour un combat, on se dit que le petit gabarit va se faire dévorer. Erreur. Sur le tatami, Gévrise se change en « G. Man » (surnom façon superhéros que lui a donné Roger Vachon, le président du club de Levallois, en banlieue parisienne, où elle évolue depuis plusieurs années). Championne du monde, championne du monde par équipe, double championne d’Europe, l’athlète originaire de Yaoundé est une machine à gagner. « C’est super-dur de mettre la main sur elle et quasiment impossible de la faire tomber, confie Marie Pasquet, la judokate avec laquelle elle s’entraîne ce jour-là. Elle ne lâche rien ! » Et sa petite taille ne la handicape pas, au contraire. « Au judo, une faiblesse peut devenir un atout, analyse la journaliste Anouk Corge, qui suit la championne depuis plusieurs années. Comme elle est plus trapue, elle passe par-dessous, et joue sur l’explosivité : elle enclenche très rapidement ses prises pour surprendre ses adversaires et éviter de se faire déborder. »
Cathy Fleury, l’ancienne championne olympique qui entraîne Gévrise, ne tarit pas d’éloges sur sa protégée. Ce qui la différencie des filles de sa catégorie ? « Elle travaille tout le temps, sait rester concentrée, même dans les moments difficiles. Elle analyse surtout très rapidement les situations. Bref, elle est plus mûre que les autres. D’ailleurs, j’ai remarqué que les filles du groupe venaient souvent solliciter son avis lorsqu’elles se posaient des questions. » Autour des tatamis, on cherche à glaner quelques critiques, deux ou trois réserves. Mission impossible.
Tempérament bouillonnant
Poignée de main ferme, sourire éclatant, Gévrise sait se montrer humble malgré les médailles. Lorsqu’elle évoque son parcours, on découvre une hyperactive qui a réussi à canaliser son énergie. Gévrise quitte le Cameroun à l’âge de 2 ans et demi pour suivre en France son père, attaché militaire. La famille Emane habite d’abord le XVIIIe arrondissement de Paris, puis s’installe définitivement à Neuilly-Plaisance dans le département de la Seine-Saint-Denis (93), à l’est de la capitale. Enfant, la future championne est d’un tempérament bouillonnant. « Elle bougeait beaucoup, courait partout », se souvient sa mère, Christine-Liliane, assistante maternelle. Mais cette boule d’énergie apprend à se discipliner au milieu de ses six frères et sÂurs. « Nous lui avons donné une éducation assez stricte, poursuit Christine-Liliane. Chez nous, on pouvait allumer la télé, mais après le goûter et les devoirs ! Nous lui avons surtout inculqué le respect des autres, de soi, de ce qu’on fait. »
Au collège, Gévrise s’applique, s’accroche à la moyenne Et explose en éducation physique. C’est d’ailleurs sur les conseils de son professeur de sport d’alors, Jacky Bicheux, qu’elle se rend à son premier cours de judo, à l’âge de 13 ans. « À l’époque je faisais énormément d’activités, raconte-t-elle, il m’arrivait de suivre dans la même journée des leçons de piano, de judo et de danse ! Mes parents, qui ne voulaient pas que je m’épuise, m’ont forcée à choisir. J’ai opté pour le judo parce que j’aime la compétition, me fixer des objectifs et tout faire pour les atteindre. »
Elle progresse très rapidement dans son sport, engrange les victoires au niveau junior et se révèle en 2003 en prenant la troisième place au Tournoi de Paris. Ses échecs (elle n’est pas qualifiée aux J.O. de 2004 et remporte « seulement » la médaille d’argent aux Championnats du monde de 2005) renforcent sa détermination. Ce qui lui permet de se hisser sur la première marche du podium aux Championnats du monde en 2007.
Du judo aux maladies incurables
Comblée, Gévrise ? Pas tout à fait. D’abord, elle regrette de ne pas mieux connaître le Cameroun. Elle qui se déplace constamment d’un continent à l’autre pour les compétitions n’a pu retourner dans son pays d’origine qu’à deux reprises. « La dernière fois, c’était il y a près de dix ans, se souvient-elle. Toute une partie de ma famille, dont ma grand-mère, vit encore là-bas. Ils me manquent. » Pour compenser, elle suit avec ferveur les matchs des Lions indomptables, carbure au n’dolé, son plat préféré, et au coupé-décalé. « Je me suis promis de retourner au Cameroun après les Jeux. Je veux savoir d’où je viens. »
Si la famille Emane n’est pas revenue vivre en Afrique, c’est que l’un des enfants est atteint d’une carence en protéines l’obligeant à prendre des compléments alimentaires que l’on trouve plus facilement dans l’Hexagone. La grande sÂur est devenue marraine de l’association Les enfants du jardin, qui aide ceux qui sont atteints de cette maladie rare, et prend son rôle très à cÂur Elle a vendu le calendrier de l’association à presque toute la fédération française de judo et tente même sa chance auprès des journalistes !
Fille turbulente devenue modèle de sérénité, déracinée se promettant un retour en Afrique : Gévrise Emane règle méthodiquement ses comptes avec le destin. Elle ne se contente pas d’un simple avenir d’ex-championne. « Beaucoup d’athlètes qui ne réfléchissent pas à leur seconde vie sont condamnés à devenir entraîneurs. Je n’ai pas cette vocation. J’ai préféré poursuivre des études de droit parallèlement aux compétitions, ce qui me faisait de très grosses journées. Mais après six heures de jurisprudence le matin, six heures de sport le soir peuvent faire du bien ! Aujourd’hui je suis titulaire d’un Master 2 de management public et gestion des collectivités territoriales. J’aimerais m’occuper de projets liés aux politiques de la ville, à l’éducation, dans lesquels le sport est un facteur d’intégration Mais je n’y arriverai peut-être pas et finirai douanière, on ne sait jamais ! » Là, on a un peu du mal à la croire.
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