Au Cameroun, les prisons sous pression face à la menace du coronavirus
Surpopulation carcérale, promiscuité et vétusté nourrissent la peur de la contagion chez les détenus comme chez leurs proches. À l’extérieur des prisons camerounaises, des avocats réclament une « décongestion immédiate » des centres de détention.
Crainte et angoisse animent Christian C. en cette matinée du 25 mars. À la prison centrale de Kondengui de Yaoundé où il est détenu depuis bientôt sept ans, il doit désormais suivre un protocole particulier pour rencontrer son neveu venu lui rendre visite. L’accès à la cour intérieure du pénitencier étant proscrit, c’est la cour d’honneur – une sorte de hall ouvert à l’air libre – qui sert de parloir. Après un lavage de mains obligatoire pour les deux interlocuteurs, la rencontre se déroule dans le strict respect d’une distance de sécurité d’un mètre.
Comme dans tous les lieux accueillant du public, la crainte de voir le coronavirus atteindre les prisons camerounaises se fait sentir, bien qu’aucun cas n’y ait encore été officiellement recensé. Il n’empêche : la sous-direction de la santé pénitentiaire, dans le sillage des mesures adoptées par le gouvernement le 17 mars dernier, a adressé une note aux unités carcérales pour préciser les mesures à prendre afin de limiter les risques de propagation du coronavirus.
Parmi celles-ci, la désinfection intégrale des 91 prisons du pays, la mise en place de restriction d’accès, l’isolation des cours intérieures, l’usage de lave-mains, ou encore la réduction des activités de groupes. Le plan d’action de l’administration pénitentiaire est clair : « réduire au maximum » le risque de contamination des 31 000 prisonniers du pays et des quelque 4 600 employés de ces unités carcérales.
Surpopulation
Mais, loin de rassurer les détenus, les dispositions mises en place par les régisseurs de prison peinent à dissiper les inquiétudes. Avec 88 cas dépistés et au moins deux décès enregistrés, le Cameroun est le pays d’Afrique centrale le plus touché par le coronavirus.
Christian C. confie notamment que « de nouveaux prisonniers continuent d’être conduits en prison ». Des arrivées qui exposent les anciens captifs à une contamination venue de l’extérieur. « La prison ne dispose d’aucun kit de test. Comment sait-on que les détenus qui ne cessent d’arriver ne sont pas contaminés ? Il suffit d’un seul cas pour que toute la prison soit touchée », explique-t-il. Avant de souligner que dans cet établissement prévu pour accueillir 1 000 personnes mais où quelque 4 500 prisonniers s’entassent en réalité, « la promiscuité a fait son lit ».
Il faut un désengorgement total des prisons
Au Cameroun, des prisons telles que celles des régions du Centre ou du Littoral présentent des taux d’occupation de 193 et 299%. Selon la carte sanitaire des pénitenciers camerounais, un médecin y couvre une population de 1 383 détenus. L’apparition du coronavrius fait donc de ces établissements des espaces de propagation propices, d’autant que certains gestes barrières prévus dans le plan de lutte du gouvernement ne peuvent y être pris en compte. C’est le cas de l’usage du gel hydroalcoolique, interdit en milieu carcéral car contenant de l’alcool.
Décongestionner les prisons pour freiner l’épidémie
Alertés sur cette situation préoccupante, les membres de la commission des droits de l’homme et des libertés de l’ordre des avocats se sont réunis le 26 mars pour tenter d’y apporter des solutions. « Nos prisons sont de potentiels mouroirs. Nous devons tout faire pour que le pire n’arrive pas », s’est alarmé le président de la commission, Me Christian Daniel Bissou, contacté par Jeune Afrique. « Le gouvernement doit prendre des mesures urgentes, comme la libération de certains prévenus, des personnes à risque (femmes enceintes, personnes âgées) qui se trouvent en fin de peine. Il faut un désengorgement total des prisons », a-t-il plaidé.
« Nous allons introduire des demandes de mise en liberté pour les détenus, motivées par une nécessité absolue de préserver l’ordre public sanitaire », a ajouté l’ancien bâtonnier Hippolyte Meli, faisant référence à la déclaration de la haute commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet. Le 25 mars, l’ancienne présidente du Chili avait exhorté les pays à réduire le nombre de personnes en détention. « Les gouvernements devraient libérer toute personne détenue sans fondement juridique suffisant, y compris les prisonniers politiques », écrivait-elle.
Les recommandations des avocats du barreau camerounais ont été transmises jeudi au ministre de la Justice, Laurent Esso. « Nous nous devons de les appliquer, sinon nous pourrons le regretter », a averti Daniel Bissou.
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