[Tribune] Mobile money : et si M-Pesa était inimitable ?
Malgré sa percée remarquable au Kenya, le modèle de monnaie électronique n’a pas connu une croissance véritablement comparable ailleurs sur le continent. Comment l’expliquer ?
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Alexander Booth
Directeur général associé de l’unité « Intelligence économique et enquêtes » du cabinet Kroll, spécialisé dans la gestion de risques. Basé à Londres, il coordonne les activités du cabinet en Afrique.
Publié le 27 mars 2020 Lecture : 3 minutes.
L’écosystème du paiement mobile en Afrique est né et a grandi au Kenya avec l’irruption de M-Pesa (« argent » en swahili). Cette offre, comme on le sait, a révolutionné la façon dont les Kényans achètent des biens et des services.
Étant donné le succès du mobile money en Afrique de l’Est, il n’est pas surprenant de constater un intérêt croissant pour l’extension du modèle de M-Pesa à l’ensemble du continent. Un certain nombre de firmes est-africaines ont d’ores et déjà fait connaître leur intention d’étendre leurs services de paiement mobile à d’autres régions.
Par ailleurs, des groupes de télécommunications, autant africains qu’étrangers, ont déjà mis le pied à l’étrier, avec parfois des investissements considérables. S’ils ont connu un succès initial modéré, ils ont finalement su s’adapter aux différents marchés. De même, des institutions financières établies entrent également en lice, touchant des utilisateurs déjà bancarisés. Toutes ces structures doivent cependant répondre à une question clé : est-il possible de reproduire le succès de M-Pesa ?
Un exemple brillant
Avec 26 millions d’utilisateurs, M-Pesa est de loin le plus important acteur des marchés kényan et africain au sens large. L’opérateur de télécoms Safaricom, qui a lancé et promu ce service de paiement en 2007, dispose de plusieurs atouts. Il contrôle la majorité de l’infrastructure de télécoms au Kenya et jouit donc d’un avantage incontestable sur le paiement mobile.
Au vu des recettes fiscales que génère l’offre de M-Pesa et du rôle central qu’elle joue dans l’économie kényane, elle bénéficie du soutien du gouvernement, ce qui renforce ses performances. Safaricom a tiré parti d’un contexte avantageux, qui s’est transformé en une position dominante sur le marché.
Un marché de dupes ?
Pourtant, ces atouts stratégiques au Kenya – un gouvernement et des régulateurs à ses côtés désireux de faciliter son développement – n’existent nulle part ailleurs qu’en Afrique de l’Est, ni pour M-Pesa ni pour un autre fournisseur de services mobiles.
M-Pesa a ainsi bataillé pour réussir sur d’autres marchés, dont l’Afrique du Sud, où le système financier est avancé, très accessible et bien alimenté en liquidités, et où la demande d’un système de paiement « révolutionnaire » n’était jusqu’ici pas prégnante.
Les perspectives d’extension des services existants ou de création de nouveaux services semblent donc réduites sur le continent. Les acteurs africains du secteur vont se confronter aux problèmes rencontrés en Inde, où le déploiement d’une véritable offre de paiement mobile s’est heurtée à des barrières réglementaires, avec des limites imposées sur les dépôts et les possibilités de prêts pour protéger le secteur bancaire local contre la « disruption ». De telles barrières existent également ailleurs sur le continent.
Pour ne rien arranger, plusieurs pays africains ont déjà un cadre réglementaire proche de celui du Kenya, ce qui restreint les avantages comparatifs de nouveaux acteurs décidés à révolutionner l’architecture locale des systèmes de paiement.
Il ne fait, certes, aucun doute que l’Afrique demeure le leader du paiement mobile. Des populations auparavant exclues du système financier y ont désormais accès, ce qui change leur vie tant sur le plan personnel que professionnel.
Nul ne peut affirmer que les nouveaux venus sur les marchés africains du mobile money échoueront. Ou que nous ne verrons pas une large expansion du pool de fournisseurs de paiement mobile sur tout le continent. Mais il est certain que ceux qui s’engagent sur la voie ouverte par M-Pesa auront certainement une montagne à gravir.
Cet article est initialement paru dans The Africa Report
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