Contrats chinois : miracle ou mirage ?

Objet de tous les fantasmes, le contenu des accords passés avec Pékin a été révélé aux parlementaires. Hold-up du siècle ou partenariat gagnant-gagnant ? Vital Kamerhe, le président de l’Assemblée nationale, livre son opinion.

Publié le 19 mai 2008 Lecture : 5 minutes.

Il aura fallu attendre une discussion houleuse à l’Assemblée nationale, du 9 au 13 mai, à Kinshasa, pour en savoir un peu plus sur ces fameux contrats chinois en République démocratique du Congo (RD Congo) dont la première annonce officielle remonte à septembre 2007. Le principe de base est connu : il s’agit de « cash contre minerais » puisque la Chine s’est engagée à financer, sous forme de prêts, de gigantesques travaux. En contrepartie, Pékin se fournira en matières premières. L’accord prévoit donc la construction de plus de 6 000 km de routes, de plus de 3 000 km de chemin de fer, de deux barrages, d’hôpitaux et d’écoles. La direction de la société nationale, la Gécamines, s’est également rendue sur place pour dresser la liste des permis concédés aux Chinois et en évaluer les réserves. Un joint-venture a par ailleurs été créé, détenu à 68 % par un consortium chinois (China Railway Group, Sinohydro et Eximbank) et à 32 % par la Gécamines. Quelque 10,6 millions de tonnes de cuivre et 620 000 tonnes de cobalt seront ainsi livrés à la Chine (voir J.A. nos 2460 et 2467).
Néanmoins, de nombreuses zones d’ombres subsistent. Quel est le montant exact du prêt ? D’autres minerais iront-ils alimenter les usines de l’ancien empire du Milieu ? À combien s’élèvent les travaux effectués par les sociétés chinoises ? Quelles sont leurs obligations fiscales et sociales ? Face à toutes ces questions, l’opposition a accusé le pouvoir « d’avoir bradé les intérêts du pays ». Depuis son exil au Portugal, le chef du Mouvement de libération du Congo (MLC) et candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2006, Jean-Pierre Bemba, a dénoncé « le plus grand hold-up du siècle ».
Après avoir obtenu quelques précisions (mais pas tous les éclaircissements demandés), le président de l’Assemblée nationale, membre de la majorité présidentielle, Vital Kamerhe, a joué le jeu du débat parlementaire. Et retenu dix recommandations adressées au gouvernement. En prenant bien soin de ne pas placer en première ligne le chef de l’État, Joseph Kabila. Interview.

Jeune Afrique : En tant que président de l’Assemblée nationale, quand avez-vous eu connaissance du contenu de l’accord passé avec la Chine ?
Vital Kamerhe : J’en ai pris connaissance au début du mois de mai, lorsque le gouvernement a décidé de venir informer l’Assemblée nationale sur ce dossier. J’ai reçu le ministre des Infrastructures et des Travaux publics, Pierre Lumbi, qui m’en a remis une copie. J’en ai tiré cinq cents exemplaires. Un pour chaque député.

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Selon le document en votre possession, quel est le montant global de cet accord ?
Cette question fait justement partie des points soulevés. En ce qui concerne l’apport de la RD Congo – à savoir les minerais cédés à la Chine en contrepartie des infrastructures -, nous ne disposons d’aucun chiffre. On nous parle de 10 millions de tonnes de cuivre, parmi lesquelles 6,8 millions de tonnes sont des réserves certaines. On nous parle aussi de 600 000 tonnes de cobalt. Forcément, l’évaluation financière de ces quantités a suscité des controverses. Pour le gouvernement, cela représentait environ 10 milliards de dollars, alors que l’opposition évoque 85 milliards ou 90 milliards de dollars. Nous avons eu une longue discussion avec le ministre des Infrastructures, qui nous a apporté des précisions. Ce qui sort du sol n’est pas un produit fini. À partir du minerai brut, il y a des pertes à chaque étape de transformation. Et selon ses propres calculs, la vérité se situe autour des 35 milliards de dollars. En réalité, nous n’avons aujourd’hui pas de chiffre exact. Nous sommes dans le cadre d’un troc, mais nous voulons connaître la valeur de l’apport de chaque partie.

À combien s’élève exactement le prêt chinois en tant que tel ? On a d’abord annoncé 6 milliards de dollars, puis plus de 9 milliardsÂ
La première partie libérée par les Chinois est de 3 milliards de dollars, dont 30 % sans intérêt et 70 % au taux de 6,1 %. Une deuxième enveloppe de 3,8 milliards est prévue, suivie d’une troisième tranche d’environ 3 milliards, soit un total de 10 milliards. Ce montant figure dans le document.

Le prêt s’élève à 10 milliards de dollars pour des livraisons en minerais évaluées à 35 milliards. Ne peut-on pas parler de contrat léonin ?
Non, pas à ce stade, car le prêt est assorti d’intérêts et de charges financières. Qui plus est, une partie des minerais est incertaine. Il faut donc prendre en compte les risques pris par les Chinois.

S’agit-il pour la RD Congo d’une dette publique ou privée ?
Selon les termes de l’accord, il est prévu que si la quantité de minerais mise à la disposition de Pékin ne couvre pas les prestations chinoises en termes d’infrastructures, le Congo devra alors payer la différence par d’autres ressources. Dès lors, on serait tenté de dire que la convention porte les germes d’un endettement public. Mais à ce jour, nous sommes dans un échange classique.

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À l’Assemblée nationale, l’opposition a toutefois dénoncé un nouveau bradage des intérêts du paysÂ
J’ai voulu écouter l’opposition, mais je trouve leurs propos excessifs. Pourquoi ? Au début des années 1970, certains collaborateurs du maréchal Mobutu l’ont persuadé de lancer des projets qui n’ont finalement jamais vu le jour. Nous avons déjà été floués par nos partenaires extérieurs et nous devons éviter que cela ne se reproduise. Les Chinois ne sont pas des anges. Nous devons veiller à nos intérêts et ne pas commettre les erreurs du passé. Pour toutes ces raisons, les critiques de l’opposition sont constructives.

Êtes-vous rassurés à présent ?
Pas à 100 %, sinon nous n’aurions pas présenté nos dix recommandations, qui intègrent les remarques de la majorité mais surtout celles de l’opposition.

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Ne craignez-vous pas de heurter le chef de l’État ?
Nous avons toujours été à ses côtés. À présent, nous devons l’aider à gagner le pari de la reconstruction. Le président sait très bien que nous travaillons dans la même direction. Il n’y aura pas de trahison. Nous sommes de la même famille politique.

Pourtant, vos dix recommandations s’apparentent à des réserves alors que le président Joseph­ Kabila mise beaucoup sur le modèle chinoisÂ
Le chef de l’État veut faire du Congo la Chine de l’Afrique, et je ne peux que lui donner raison. Mais avoir un modèle est une chose, adopter une démarche concertée en est une autre. C’est le président qui a demandé à ce que le texte vienne à l’Assemblée nationale. Je ne pense pas que notre travail puisse heurter sa conscience ou même son amour-propre.

Cet accord passé avec la Chine ne risque-t-il pas de froisser les partenaires traditionnels du Congo ?
Nous avons soulevé cette question. Nous nous rapprochons actuellement du point d’achèvement de l’Initiative en faveur des Pays pauvres très endettés (PPTE). Le Congo doit profiter d’un effacement de plus de 9 milliards sur une dette de 11 milliards. Mais le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ne comprendraient pas que ces concessions nous offrent de nouvelles possibilités d’endettement. Et ce serait une catastrophe de sacrifier les relations que nous entretenons avec nos partenaires historiques pour quelque chose de nouveau qui peut se heurter à des impondérables. Tout le monde traite avec la Chine, pourquoi pas nous ? Mais nous devons sauvegarder les relations avec les amis traditionnels. C’est le cas de l’Union européenne, qui a financé, sous forme de don, le processus de paix et électoral à hauteur de près de 1 milliard de dollars. Nous ne pouvons balayer cela d’un revers de la main.

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