Brown, ou la vie en noir

Face aux jeunes loups du Parti conservateur, le Premier ministre travailliste apparaît morne, besogneux, solitaire. Sauf miracle, la cuisante défaite de son parti lors des récentes élections locales risque de ne pas être la dernière.

Publié le 19 mai 2008 Lecture : 5 minutes.

Rien ne va plus pour Gordon Brown, le Premier ministre britannique. Le 1er mai, lors des élections locales, son Labour Party a essuyé une raclée sans précédent depuis quarante ans : avec 24 % des suffrages exprimés, il n’est arrivé qu’en troisième position, derrière les libéraux démocrates (25 %) et, surtout, les conservateurs (44 %). Suprême humiliation, l’extravagant Boris Johnson, ancien rédacteur du magazine de droite The Spectator, a ravi la mairie de Londres au travailliste Ken Livingstone. Et le pire est sans doute à venir. Un sondage publié le 7 mai annonce en effet un écrasement des travaillistes en cas d’élections législatives anticipées : ils n’obtiendraient que 23 % des voix, contre 50 % à leurs adversaires tories.
La descente aux enfers a commencé le 7 octobre 2007, lorsque Brown, installé aux 10, Downing Street depuis le 27 juin précédent, a renoncé à provoquer des élections anticipées, jugées par lui trop risquées au vu des sondages. Il y a gagné une réputation de « dégonflé » et de perdant. Depuis, tout va de mal en pis. Brillant chancelier de l’Échiquier de Tony Blair, il semble avoir perdu la main en matière économique. Il n’est certes pas responsable de la crise des subprimes et du ralentissement de la croissance, l’une et l’autre venus des États-Unis, mais sa politique semble inadaptée à la situation, et même désordonnée. En novembre 2007, il jurait qu’il ne nationaliserait jamais la banque Northern Rock en perdition. Trois mois après, il faisait exactement le contraire. C’était la première fois depuis la reprise de Rolls-Royce, en 1971, que l’État rachetait une entreprise privéeÂ

Le retour du vieux Labour
Longtemps chouchou de la City pour avoir libéralisé le secteur financier, voici qu’il projette d’imposer plus lourdement les hauts revenus des ressortissants étrangers et les plus-values des fonds d’investissement, au grand dam des milieux d’affaires, qui dénoncent le retour des pratiques du vieux Labour. À la recherche d’un surcroît de recettes fiscales, il a fait passer de 10 % à 20 % le taux de base de l’impôt sur le revenu, ce qui est interprété comme un cadeau fait aux riches et suscite la colère des ménages les moins fortunés, clientèle traditionnelle du Parti travailliste. Soucieux de donner des gages sécuritaires, il entend faire passer la durée maximale de la garde à vue pour les personnes soupçonnées de terrorisme de vingt-huit à quarante-deux jours, provoquant une fronde parmi les députés de son parti. De même, le vieux socialiste qu’il est a, le 24 avril, subi l’affront d’une grève très suivie dans les établissements d’enseignement secondaire d’Angleterre et du pays de Galles – la première depuis vingt et un ans. Or les enseignants sont un autre pilier du LabourÂ
Hélas pour lui, l’économie britannique donne de sérieux signes d’essoufflement. Dans l’esprit de ses concitoyens, il y est forcément pour quelque chose. L’inflation galope (3 %), la livre sterling flageole et les déficits publics, qu’il se vantait, à juste titre, d’avoir réduits, remontent dangereusement vers les 3 % du produit intérieur brut. La « bulle » immobilière, qui a porté la croissance du Royaume-Uni pendant une décennie, est en cours d’éclatement. Le 13 mai, Yvette Cooper, la secrétaire d’État au logement, a estimé que la chute des prix de l’immobilier serait, en 2008, comprise entre 5 % et 10 %. Une très mauvaise nouvelle pour les ménages dont le pouvoir d’achat se trouvera affecté par cette dévalorisation. D’autant que les banques, en difficulté, rechignent à accorder des crédits.
Dernière avanie, Cherie Blair, épouse de son prédécesseur et ami, l’épingle dans son livre Speaking for Myself (« Parler en mon nom »), paru le 15 mai. Elle y estime qu’en juin 2007 Gordon aurait traîtreusement poussé Tony vers la sortie L’ex-First Lady ne doute pas un instant que son mari serait, lui, en mesure de remporter les prochaines élections et affirme qu’il continue de conseiller le Premier ministre en coulisses. Histoire de suggérer que ce pauvre Brown serait bien inspiré de faire appel à Blair s’il veut sauver son siège !
La contre-attaque du leader travailliste est en cours. Début mai, il est apparu fort contrit à la télévision. À l’en croire, le « verdict très sévère » du dernier scrutin va le contraindre à mieux « écouter les électeurs ». Il a fait monter au créneau David Miliband, son ministre des Affaires étrangères, souvent présenté comme son successeur, qui s’est fendu d’un vibrant : « Il est le meilleur pour nous conduire aux prochaines législatives. » Ce qui a coupé court aux rumeurs concernant une éventuelle demande de démission de son « patron ». Brown a promis d’annoncer, dans les prochaines semaines, un train de mesures « pour surmonter les difficultés économiques ». La première a été esquissée le 13 mai. Elle pourrait prendre la forme d’un allègement d’impôts d’un montant de 3,4 milliards d’euros à l’intention des ménages à revenus faibles et moyens. Et l’on s’attend à ce qu’il renonce à la hausse des taxes sur le fioul domestique, prévue à l’automne. Pourtant, il est à craindre que ces libéralités ne suffisent pas. Car Brown souffre avant tout d’un déficit d’image.

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Boris, l’extravagant
Le programme des conservateurs n’est pas fondamentalement éloigné du sien. C’est même David Cameron, le « jeune loup » tory, qui, le premier, a proposé de taxer les riches étrangers fiscalement domiciliés en Grande-Bretagne Leur avantage tient donc beaucoup moins à leurs promesses qu’au fait qu’ils apparaissent comme des hommes neufs. Il est symptomatique que les « bobos » londoniens aient basculé en faveur de Boris Johnson, qui les a séduits en proposant une amnistie pour les immigrés clandestins, mais aussi par ses extravagances qui incitent à penser qu’il est en phase avec le bouillonnement social et culturel de la capitale. Finalement, Gordon Brown est dans la même position qu’Hillary Clinton face à Barack Obama : il symbolise, malgré lui, le passé. Il donne l’impression d’être morne, besogneux, solitaire, quand Cameron et Johnson semblent être les véritables héritiers du pétulant Tony Blair.
On imagine mal le Premier ministre acquérir soudainement le charisme qui lui a fait jusqu’ici cruellement défaut. Ses chances de remonter la pente sont ailleurs. Il peut compter sur son entêtement et sa capacité de travail légendaires. Surtout, il est le maître sinon du temps, au moins du calendrier : le choix de la date des prochaines élections générales (d’ici au mois de mai 2010) lui appartient. Ces atouts – essentiellement défensifs – suffiront-ils à contenir la jeunesse et l’allant de ses adversaires ?

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