Confiné en Italie, le gardien de but du Sénégal Alfred Gomis s’inquiète de la propagation du coronavirus en Afrique

Le gardien de but des Lions de la Teranga, Alfred Gomis soigne actuellement son genou à Turin, dans une Italie durement frappée par le coronavirus. L’international raconte la situation dans la péninsule, tout en s’inquiétant de la propagation de l’épidémie en Afrique.

Alfred Gomis, le 22 octobre 2017, en Italie. © Elisabetta Baracchi/AP/SIPA

Alfred Gomis, le 22 octobre 2017, en Italie. © Elisabetta Baracchi/AP/SIPA

Alexis Billebault

Publié le 2 avril 2020 Lecture : 5 minutes.

C’est en Italie, et plus précisément à Turin, qu’Alfred Gomis, le gardien international sénégalais de Dijon, est venu soigner sa blessure au genou, contractée début février. Ce pays, où il est arrivé à l’âge de 3 ans et qui l’a vu débuter sa carrière, compte le plus grand nombre de décès liés au coronavirus, avec plus de 13 000 morts au 2 avril, et un système hospitalier au bord de l’implosion.

Confiné dans son appartement turinois, qu’il ne quitte que pour effectuer sa rééducation, Gomis garde le lien avec le Sénégal, sans cacher sa crainte de voir le virus faire des ravages sur le continent. Depuis l’Europe, le footballeur exhorte les Africains à prendre le maximum de précautions pour ralentir la propagation de la pandémie de Covid-19.

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Jeune Afrique : Vous résidez depuis plusieurs semaines en Italie, l’un des pays les plus touchés par l’épidémie…

Alfred Gomis : Je suis arrivé à Turin quelques jours avant que le gouvernement italien ne décide d’imposer le confinement à toute la population italienne. Je vis seul dans un appartement, et mes parents vivent à une quarantaine de kilomètres de là. Plusieurs heures par jour, je reçois des soins dans une clinique spécialisée. Mon quotidien se limite donc à ces allers-retours et à quelques courses. En dehors de cela, je ne sors pas.

Ce qui me rassure, quand je prends la voiture pour aller à la clinique, c’est que les rues de Turin sont désertes. Cela signifie que les gens respectent le confinement et qu’ils ont compris à quel point la situation est dramatique. Avec plus de 13 000 décès, les hôpitaux sont saturés…

Quelles mesures prenez-vous pour éviter la contamination lors de vos déplacements ?

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À la clinique, le personnel et les patients prennent un maximum de précautions. On porte des masques, des gants, on se lave les mains, on respecte une distance d’au moins 1 mètre, et nous ne sommes jamais plus de deux ou trois dans la même pièce. Les locaux sont régulièrement désinfectés.

Même si ce virus semble toucher davantage les personnes âgées ou celles qui sont déjà une maladie, j’ai compris que personne n’était épargné. En France, une adolescente de 16 ans est décédée, c’est terrible. Il y a forcément de l’inquiétude. On peut être jeune et en bonne santé, et être contaminé.

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Le nord de l’Italie, pourtant mieux équipé que le sud du pays, est particulièrement touché. Les Italiens craignent-ils que l’épidémie se déplace vers le Sud, avec les conséquences qu’on peut imaginer ? 

Le Nord, plus riche, est mieux équipé. Si le gouvernement italien a décidé de confiner la population, c’est pour éviter que le Sud soit trop touché, car on sait que là-bas les hôpitaux sont en général moins bien dotés. Les Italiens sont surpris par l’ampleur de l’épidémie. Quand je suis arrivé pour mes soins, il y avait quelques cas, en Lombardie. Des mesures avaient été prises, dont le confinement de quelques villes. Personne ne s’attendait à ce que ce virus se révèle aussi contagieux.

Les Sénégalais doivent s’adapter à des conditions de vie particulières. Ce virus oblige tout le monde à vivre autrement.

Vous jouez désormais à Dijon. Estimez-vous que la France a réagi trop tard ?

Certaines personnes en France n’ont sans doute pas pris la mesure de la situation en Italie, et cela m’a un peu surpris, c’est vrai. On voit aujourd’hui que la France est durement touchée.

Le virus vient de Chine. C’est loin, donc peut-être que les Européens ont pensé qu’ils seraient épargnés. Aujourd’hui, tout le monde ou presque a pris conscience de la situation. Nous savons tous qu’il faudra du temps avant de retrouver une vie normale.

L’évolution de la pandémie au Sénégal vous inquiète-t-elle ?

J’ai de la famille et des amis sur place, qui me donnent des informations. Je me renseigne aussi de mon côté. À l’heure où nous parlons, il y a un peu plus de 140 cas officiellement déclarés au Sénégal. Comme le virus se propage très vite, on sait qu’il y aura d’autres personnes touchées. Les autorités ont pris des mesures, comme l’état d’urgence sanitaire, le couvre-feu, l’interdiction des rassemblements publics ou encore la fermeture des frontières. C’était nécessaire. Les Sénégalais doivent s’adapter à des conditions de vie particulières. Ils ont l’habitude d’arpenter les rues, d’être souvent dehors, de se rassembler… Le mode de vie en Afrique n’est pas le même qu’en Europe. Mais ce virus nous oblige tous à vivre autrement.

Certains redoutent une hécatombe sur le continent…

Je crois que les Sénégalais – et les Africains en général – ont pris la mesure de la situation. Tout le monde n’y parle que de ça. On me dit qu’il y a moins d’affluence dans les rues, que les gens respectent la distance d’au moins 1 mètre. Il y a aussi beaucoup de d’actions de prévention qui sont menées.

Il faut bien sûr s’inquiéter pour l’Afrique, si l’épidémie s’y répand comme en Europe. Il y a de très bons médecins, du personnel soignant de qualité, de bons hôpitaux aussi. Mais les moyens manquent en ce qui concerne les équipements de réanimation et les masques. Cela n’est pas comparable avec l’Europe, où les hôpitaux italiens, français ou espagnols ont déjà beaucoup de mal à faire face à la crise sanitaire. Pour l’instant, le nombre de cas déclarés y est moins important qu’en Europe et en Asie, et plusieurs pays ont pris des mesures de confinement de la population.

La stratégie du confinement est-elle adaptée ?

Pas toujours. Beaucoup d’Africains ont besoin de sortir chaque jour pour gagner un peu d’argent afin de nourrir leur famille. Donc s’ils ne peuvent plus sortir, ils ne peuvent subvenir aux besoins de leur foyer. Et puis beaucoup d’entre eux n’ont pas forcément les moyens de stocker de la nourriture pour plusieurs jours.

De nombreux footballeurs africains se sont engagés pour lutter contre la pandémie. C’est également votre cas…

Oui, j’aide mon pays, cela me semble naturel, même si je préfère rester discret. Je fais aussi en sorte, via des vidéos sur les réseaux sociaux, de sensibiliser les gens aux mesures d’hygiène à prendre. Quand je reçois mes soins, on me voit toujours avec un masque, par exemple. Le confinement est l’une des meilleures façons de limiter la propagation du virus. On consent des sacrifices sur nos libertés individuelles. C’est le prix à payer.

Et si l’on devait retirer ne serait-ce qu’une conséquence positive de cette situation, c’est son effet sur l’environnement. Comme les voitures roulent moins, que les avions volent moins, la pollution diminue. Quand cette crise sanitaire sera derrière nous, il faudra avoir une réflexion sur cette question très importante.

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