« To be » ou ne pas être ?

Publié le 19 mai 2003 Lecture : 2 minutes.

Lors de la commémoration du génocide, le 7 avril dernier, le président Paul Kagamé a étonné tout le monde en ponctuant son discours en kinyarwanda d’un passage en anglais. Le sujet était d’importance : « Congo is not our country and we are not in Congo. » Même si la langue de Shakespeare est couramment usitée en matière diplomatique, cette incise a dû faire frémir les partisans de la francophonie au pays des Mille Collines. Avec un président anglophone et le retour, en 1994, d’une diaspora ayant vécu en Tanzanie et en Ouganda, l’anglais est aujourd’hui langue officielle, au même titre que le français et le kinyarwanda. Dans beaucoup d’administrations et dans les rues de Kigali, le visiteur reste pantois : le Rwanda, ex-colonie belge francophone, aurait-il succombé à la mode anglophone ?

Qu’il se rassure ! Le français reste auréolé d’un certain prestige. Dans l’école privée La Colombière, les jeunes enfants des cadres rwandais étudient toujours dans cette langue. Et, dans les établissements publics, le français demeure également une matière privilégiée lors des examens. Pourtant, juste après la guerre, il a fallu revoir tout le système pédagogique : « En 1995, notre plus grand défi était de renvoyer tous les enfants à l’école », explique Calixte Kayisire, véritable initiatrice de la refonte de l’école primaire à l’époque. « Des instituteurs sont revenus de partout, ils enseignaient, tant bien que mal, dans toutes les langues : swahili, kinyarwanda, anglais, français. Nous avons alors mis en place un système qui fait que chaque professeur enseigne dans la langue qu’il maîtrise le mieux. »
Alors que dans le premier cycle, tous les cours sont dispensés dans la langue vernaculaire, ceux du deuxième cycle sont à prédominance francophone ou anglophone. On retrouve le même système dans le secondaire. Et pour remettre tout le monde à niveau à l’entrée à l’université, les étudiants doivent passer une « année zéro » afin de se perfectionner dans l’un des deux langages. Un mélange qui se retrouve ensuite inscrit dans les différents établissements : si l’Université nationale du Rwanda, à Butare, est « mixte », l’Université libre de Kigali reste francophone et le Kigali Institute of Science and Technology (Kist) est majoritairement anglophone. « Réussir à imposer le multilinguisme, c’est un véritable pari, poursuit Calixte Kayisire. Historiquement, nous sommes attachés au français. Mais économiquement, nous sommes tributaires des échanges avec nos voisins anglophones, notamment le Kenya ou l’Ouganda. »

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« Il n’y a pas plus de quelques milliers de personnes qui parlent vraiment anglais à Kigali, relativise Kennedy Ndahiro, éditeur du New Times, principal journal anglophone du pays. Et pas une dans les campagnes. » Le bihebdomadaire, imprimé en Ouganda, est tout de même distribué à 4 000 ou 5 000 exemplaires. Il entre directement en concurrence avec les autres journaux ougandais vendus à la criée, The East African, The Monitor ou The New Vision. Si les deux journaux francophones privés, L’enjeu et l’Hebdo des Grands Lacs, ne sont pas de taille à leur faire de l’ombre, ils sont davantage concurrencés par Umuseso, le journal en kinyarwanda le plus populaire, mais aussi le plus critique à l’égard du pouvoir. Serait-ce une preuve de la victoire de la langue vernaculaire sur les « langues importées » ? Une chose est certaine, des efforts restent à faire en direction de ce système scolaire en pleine refonte… L’école demeure l’apanage des privilégiés. Et, qu’on le veuille ou non, l’heure du trilinguisme n’a pas encore sonné !

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