Signé el-Qaïda ?

À quelques heures d’intervalle, une série d’attentats suicide ont ensanglanté la Tchétchénie et l’Arabie saoudite. Coupable tout désigné : le réseau d’Oussama Ben Laden.

Publié le 19 mai 2003 Lecture : 3 minutes.

Les décombres des trois ensembles résidentiels réservés aux expatriés à Riyad, soufflés le 12 mai par les explosions de trois camions piégés, fumaient encore que Colin Powell, secrétaire d’État américain, pointait déjà un doigt accusateur vers l’organisation terroriste d’Oussama Ben Laden, el-Qaïda. Quelques heures plus tôt, un camion bourré d’explosifs avait réduit en poussière le bâtiment du FSB (services secrets russes, héritiers du KGB) à Znamenskoe, une bourgade au nord de Grozny, capitale de la Tchétchénie. Bilan 54 morts et 300 blessés. Là aussi, pas de doute possible dans l’esprit des Russes : cet acte porte la marque d’el-Qaïda. Même si le président russe Vladimir Poutine nuancera ses propos : « L’inspiration de ces actes [Riyad et Znamenskoe] est la même. » Tout bien considéré, cette nuance s’imposait.
Les opérations de Riyad visaient avant tout des objectifs américains et, accessoirement, occidentaux. Ce n’est pas le cas des attentats en Tchétchénie qui, même s’ils n’ont pas été revendiqués, sont certainement l’oeuvre des indépendantistes tchétchènes. Bien sûr, on pourrait se placer dans la logique qui a présidé à la création par Oussama Ben Laden, en février 1998, du Front islamique mondial contre les Croisés et les Juifs, et considérer que la présence américaine (militaire ou civile) en Arabie saoudite est assimilable à une occupation. Certes, une légion arabe, composée d’éléments issus de la matrice el-Qaïda et dirigée par le Jordanien Abou el-Walid, combat aux côtés des troupes de Chamyl Bassaiev, figure emblématique des indépendantistes tchétchènes.

Si le mode opératoire est le même, on peut néanmoins relever une différence : contrairement aux combattants tchétchènes (prise d’otages dans un théâtre de Moscou en 2002 ou attentat à Gudermes le 13 mai), el-Qaïda n’a jamais eu recours à des femmes pour exécuter une opération. La raison en est bien simple : le salafisme djihadiste, concept barbare qui résumerait le mode de pensée des idéologues de l’internationale islamiste, ne saurait consentir au sexe faible « l’honneur » du djihad. Les femmes sont « réservées » au repos du guerrier, interdites de champs de bataille et confinées à des tâches moins « nobles ».

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Autre différence entre el-Qaïda et les indépendantistes tchétchènes : les capacités opérationnelles. La première fait face, depuis septembre 2001, à une coalition mondiale qui lui mène une guerre sans merci, traque ses dirigeants, gèle ses avoirs financiers (125 millions de dollars ces derniers dix-huit mois), entrave tout recrutement massif et la prive d’un pays hôte, l’Afghanistan. Les indépendantistes tchétchènes, eux, demeurent une redoutable guérilla connaissant parfaitement le terrain, n’ayant aucun problème de renouvellement des effectifs, la répression russe faisant office de sergent recruteur parmi les hommes valides dans les camps de réfugiés au Daghestan et en Géorgie.

Selon un rapport de l’Institut international d’études stratégiques (IISS) basé à Londres, les Américains ont neutralisé plus de 2 700 activistes, dont plusieurs chefs. Une performance que les Russes auront du mal à égaler avec leurs irrédentistes tchétchènes. Pourtant, el-Qaïda semble loin d’être finie. Les bases opérationnelles démantelées en Afghanistan ont pu être reconstituées ailleurs, dans des régions où règne l’instabilité, dans des États fragiles ou démunis : Pakistan, Afrique de l’Est, péninsule Arabique. Selon l’IISS, el-Qaïda se serait déployée dans quatre-vingt-dix pays, et deux mille partisans du tout-djihad, passés par les camps afghans, demeurent introuvables. Et si l’on devait absolument déceler un lien entre les opérations de Riyad et celle de Znamenskoe, c’est parmi ces derniers qu’on le cherchera. De nombreux fugitifs d’el-Qaïda se sont réfugiés dans les maquis tchétchènes pour continuer à faire le coup de feu. D’autres sont rentrés dans leur pays d’origine. Les auteurs du triple attentat en Arabie saoudite en font partie. Le 8 mai, les services de sécurité dirigés par le prince Nawwaf avaient identifié et localisé une cellule d’el-Qaïda, à Riyad. Ses 19 membres ont réussi à quitter leur planque avant l’arrivée des policiers saoudiens, laissant derrière eux 380 kilos d’explosifs, des dizaines de grenades, plusieurs fusils d’assaut et une quantité impressionnante de munitions.
Malgré les arrestations et les bombardements, la direction d’el-Qaïda semble opérationnelle. Selon l’IISS, près de « 18 000 terroristes potentiels sont en liberté, et le recrutement se poursuit de plus belle ». La flexibilité opérationnelle du réseau de Ben Laden en fait un ennemi invisible pouvant frapper là où il veut, quand il veut. Et ce n’est pas la politique de Washington de guerre préventive qui en affaiblira les capacités opérationnelles.

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