« Républicains » et rebelles dans la ville

Publié le 19 mai 2003 Lecture : 3 minutes.

Depuis leur arrivée à Abidjan, le 17 avril dernier, les neuf ministres issus des Forces nouvelles (regroupement des trois mouvements rebelles) logent à l’hôtel du Golf. Coût de leur séjour par personne : 220 000 FCFA la nuit, restauration entièrement prise en charge par la primature. Côté sécurité, chaque ministre bénéficie de la protection d’un pool de dix à seize agents en rotation issus des forces françaises de l’opération Licorne, de l’Ecoforce (les éléments ouest-africains) et du MPCI. N’ayant pas encore de voitures de fonction, les représentants des Forces nouvelles dans le gouvernement roulent dans des voitures de location escortées par trois ou quatre véhicules. Par stratégie ou simple méfiance, les ministres des Forces nouvelles n’ont jamais tous résidé en même temps à Abidjan. Ils retournent périodiquement à Bouaké, suivant un système de rotation, à bord des Transall de l’armée française. En dehors des heures de travail, à Abidjan, ils restent confinés à l’hôtel où ils passent leur temps entre de longues discussions à table, des réunions et diverses activités (exercices dans la salle de gym, réception filtrée de visiteurs…).
De l’avis de nombre de leurs collègues, les ministres des Forces nouvelles ont des rapports moins crispés avec Laurent Gbagbo que leurs homologues du RDR. Le président est plus réservé avec les représentants du parti d’Alassane Ouattara dans son gouvernement.
Après avoir précisé qu’il est le seul maître à bord au cours du premier Conseil des ministres tenu à Abidjan – les deux précédents l’ont été à Yamoussoukro -, le 17 avril, le président a profité de la lettre adressée par les directeurs des médias de service public à Guillaume Soro, leur ministre de tutelle, pour remettre les pendules à l’heure. Il a pris le chef du gouvernement à témoin qu’il ne tolérera aucune forme d’insubordination des cadres à l’endroit du « ministre d’État, ministre de la Communication ». Ce qui a contribué à décrisper l’atmosphère. Signe de cette évolution positive, Gbagbo a, pour la première fois depuis le début de leur cohabitation, appelé Guillaume Soro sur la ligne fixe de son bureau, le 9 mai.
Quant aux six ministres RDR, ils logent au neuvième étage de l’hôtel cinq étoiles Tiama dans des suites qui coûtent chacune 220 000 F CFA la nuit. Les frais de restauration sont, évidemment, à la charge de l’État. Les « poulains » d’Alassane Ouattara vivent seuls à Abidjan. Leurs familles sont dispersées entre le Sénégal, la France et les États-Unis. « En attendant de voir plus clair », précise l’un d’entre eux. Invités à rejoindre leurs domiciles privés par la primature (qui estime que leur sécurité n’est plus menacée et serait, de toute façon, mieux garantie chez eux que dans un hôtel), ils sont en train de réhabiliter leurs maisons saccagées aux premières heures de la crise. Le ministre du Tourisme Amon Tanoh a donné le signal en rejoignant son domicile personnel le 7 mai.
Les ministres RDR se déplacent dans des voitures louées ou personnelles. Ils sont sous la protection des éléments de l’Ecoforce et des forces nationales ivoiriennes. Comme tous leurs collègues du gouvernement, ils perçoivent un salaire de 4,5 millions de F CFA. Un traitement qui devait être porté à 7 millions en janvier 2003, mais l’augmentation tarde à se faire à cause des difficultés de trésorerie de l’État. Les ministres RDR comme ceux issus des Forces nouvelles soupçonnent que leurs communications à l’hôtel, au bureau et sur leurs portables dépendant du réseau ivoirien sont écoutées. D’où une méfiance qui frise la paranoïa. En vue de se prémunir, chacun d’entre eux s’est doté d’un téléphone étranger fonctionnant en roaming. Pour rendre compte au quotidien de la situation du pays à Ouattara, aujourd’hui en France, les ministres utilisent un téléphone satellitaire et un autre crypté.
Les laisse-t-on travailler ? Un d’entre eux avoue ne sentir aucune entrave depuis qu’il a pris fonction, et dit être convaincu de la volonté du président de leur laisser les mains libres. Tout au moins jusqu’à maintenant où ils n’ont pas fait plus que s’atteler à monter leurs cabinets et prendre leurs marques. La première épreuve de la cohabitation à l’ivoirienne sera, sans nul doute, la nomination imminente des membres des cabinets ministériels et des directeurs des grandes entreprises. Plusieurs cadres du parti présidentiel, placés à certains « postes juteux », devront céder la place. Le Front populaire ivoirien (FPI) du chef de l’État assistera-t-il, passif, à l’éviction de tous ses cadres, à la suite de la mise à l’écart de plusieurs de ses ténors (Pascal Affi Nguessan, Aboudramane Sangaré…) ?

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