Retour de flamme

Dernier épisode en date d’une guerre qui est loin d’être terminée, les attentats suicide du 12 mai à Riyad semblent prouver qu’el-Qaïda a retrouvé tous ses moyens et que ses membres sont plus déterminés que jamais à faire le sacrifice de leur vie pour tue

Publié le 19 mai 2003 Lecture : 8 minutes.

Comment faut-il interpréter les sanglants attentats du 12 mai à Riyad ? Des actes terroristes commis contre des civils doivent, bien entendu, être condamnés, mais nous devons aussi chercher à les comprendre et nous interroger sur leur signification. Ils semblent prouver qu’el-Qaïda, ou une organisation qui lui ressemble beaucoup, a retrouvé tous ses moyens, que ses membres sont farouchement déterminés à tuer des Américains et prêts à faire le sacrifice de leur vie. C’était déjà le cas pour les précédentes opérations suicide d’el-Qaïda, ces dernières années, qu’il s’agisse des attentats contre les ambassades américaines d’Afrique orientale, contre le destroyer américain USS-Cole dans le port d’Aden ou même contre les Twin Towers de New York et le Pentagone, le 11 septembre 2001, pour ne citer que les plus spectaculaires. L’attentat à la voiture piégée dans un quartier résidentiel de Riyad, les dizaines de morts et de blessés chez les expatriés posent un grave problème au gouvernement saoudien, car aucun pays ne peut tolérer sur son territoire des actes de violence qui sèment la panique, sapent son autorité, nuisent à son économie et peuvent provoquer un exode des étrangers. Les Saoudiens avaient pourtant tenté d’obtenir le départ des troupes américaines, dans l’espoir d’éviter les conséquences d’une présence jugée inacceptable. L’Arabie saoudite aura certainement à pâtir encore des arabophobes de Washington, qui cherchent depuis longtemps à déstabiliser le royaume, et qui vont utiliser désormais les attentats pour le présenter comme un foyer de fanatisme.
La première cible des agresseurs n’est pas l’Arabie saoudite, mais les États-Unis. De même que les opérations précédentes, les attentats doivent être considérés comme la réponse violente des militants arabes et islamistes à ce qu’ils estiment être la violence dont ils sont victimes de la part des États-Unis et de leurs alliés. Ce n’est que le dernier épisode en date de la guerre en cours, une guerre que les États-Unis ne peuvent gagner. La question qui se pose est de savoir si l’Amérique réagit d’une manière efficace ou si, au contraire, son comportement entretient la violence qu’elle cherche à éliminer.
Dans le premier discours qu’il a fait après les attentats de Riyad, le président George W. Bush a déclaré : « Ces actes méprisables ont été commis par des tueurs qui ne croient qu’à la haine… Les États-Unis trouveront les tueurs et leur apprendront ce qu’est la justice américaine. » Ces propos ont été tenus par un fondamentaliste chrétien régénéré dont les soldats viennent de démolir l’infrastructure civile de l’Irak, qui n’a pas tenu ses promesses de reconstruire ce qu’il avait détruit en Afghanistan et qui continue à garder en prison illégalement à Guantánamo un grand nombre de musulmans, dont des enfants. Un homme qui s’apprête à recevoir en grande pompe à la Maison Blanche le leader le plus brutal de l’histoire d’Israël, qui détruit la société palestinienne dans sa quête fanatique du Grand Israël.
Le président américain ou bien ne comprend pas, ou bien ne veut pas comprendre que l’attitude et le comportement de son administration ont suscité un antiaméricanisme sans précédent dans le monde arabo-musulman. Le soir des attentats de Riyad, l’ambassadeur américain, Robert Jordan, demandait pourquoi l’on s’en prenait aux Américains alors que les États-Unis avaient annoncé qu’ils retiraient leurs troupes du royaume. Cette question révèle qu’il comprenait trop tard et trop mal les objectifs et les sentiments des activistes. La présence des troupes américaines dans le royaume est certainement l’un des principaux griefs d’el-Qaïda, et ces troupes auraient dû quitter l’Arabie saoudite depuis des années. Mais il y en a d’autres, qui sont aujourd’hui aussi exacerbés : les opérations militaires impitoyables menées en Afghanistan et en Irak avec leur cortège de pertes civiles et de destructions matérielles ; l’appui sans réserve accordé aux mesures de répression prises par les Israéliens à l’égard des Palestiniens ; le harcèlement dont sont l’objet aux quatre coins du monde les organisations et les fondations caritatives islamiques, et les musulmans eux-mêmes ; les opérations punitives de la « guerre contre le terrorisme » – toute une politique qui est aux yeux des activistes rien de moins qu’une guerre contre l’islam lui-même.
Au début du mois, le quotidien israélien Ha’aretz citait ces déclarations de l’actuel ministre israélien du Tourisme, Beny Elon : « Il est évident que l’islam est en voie de disparition. Ce à quoi nous assistons présentement dans le monde musulman n’est pas une montée en puissance de la foi, mais les derniers rougeoiements des braises de l’islam. Comment disparaîtra-t-il ? Très simplement. Dans quelques années, on lancera contre l’islam une croisade chrétienne qui sera le grand événement de ce millénaire. De toute évidence, nous aurons un vrai problème quand il n’y aura plus que deux grandes religions, le judaïsme et le christianisme, mais nous avons le temps de voir venir. »
De telles déclarations scandalisent inévitablement le milliard de musulmans qui existent dans le monde. Lorsque la politique américaine semble elle aussi inspirée par de tels sentiments anti-islam, elle suscite une résistance. C’est, semble-t-il, ce à quoi nous assistons en ce moment. L’opinion arabo-musulmane et, en vérité, une bonne partie de l’opinion européenne ont été frappées par le mensonge et l’hypocrisie qui ont précédé l’attaque contre l’Irak. Les armes de destruction massive qui auraient été en possession de Bagdad n’ont été qu’un prétexte à l’invasion, de même que les liens de Saddam Hussein avec el-Qaïda, dont on a beaucoup parlé, mais qui n’ont jamais été prouvés. Les véritables buts de guerre des néoconservateurs et de leurs alliés sionistes étaient de remodeler le Moyen-Orient par la force militaire dans l’espoir de le rendre proaméricain et pro-israélien, et de créer ainsi les conditions qui permettraient à Israël d’imposer sa volonté aux Palestiniens et à l’ensemble de la région.
El-Qaïda n’est pas le seul mouvement de résistance auquel les États-Unis doivent faire face, bien qu’il soit sans doute le plus violent et le plus intransigeant. De retour à Nadjaf, en Irak, la semaine dernière, après un long exil, l’ayatollah Mohamed Baqir el-Hakim, le chef du Conseil suprême de la Révolution islamique (CSRI) en Irak, a appelé à résister à l’occupation, et marqué sa totale opposition à la politique américaine. Il en va de même avec le président iranien Mohamed Khatami, qui a reçu un accueil enthousiaste à Beyrouth lorsqu’il a fait l’éloge de la « résistance opiniâtre » du Liban. Le chef du Hezbollah, Cheikh Hassan Nasrallah, a déclaré que son mouvement et l’Iran marchaient la main dans la main avec la Syrie, le Liban et les Palestiniens. « Ce qu’il faut savoir, a-t-il affirmé, est que nous ne plierons pas et que nous ne renoncerons pas à nos droits. »
Bien qu’il ait été classé « organisation terroriste » par les États-Unis et par Israël, le Hezbollah est un mouvement de résistance qui a réussi à chasser Israël du Liban après vingt-deux ans d’occupation, qui continue à assurer au pays du Cèdre un minimum de protection contre de nouvelles attaques israéliennes et qui est aujourd’hui partie intégrante de la vie politique libanaise.
Washington est entre les mains d’hommes qui croient à ce qu’ils appellent une « diplomatie coercitive », ce qui semble signifier l’utilisation unilatérale de l’écrasante puissance militaire des États-Unis, en dehors de toute référence à l’ONU ou au droit international, pour soumettre ou menacer tous ceux qui opposent une certaine résistance à Israël ou aux États-Unis.
Introduits au gouvernement par l’administration Bush et portés par le drame national du 11 septembre 2001, les faucons de Washington ont d’abord braqué leurs canons sur l’Irak de Saddam Hussein. Mais l’Irak conquis, ils ont mis la pression sur la Syrie, l’Iran et le Liban, et sur le Hezbollah et les factions palestiniennes activistes.
Parallèlement, ils s’opposent à toute tentative que pourraient faire les États-Unis pour freiner la violence du Premier ministre israélien Ariel Sharon. Confiant dans le soutien dont il dispose au Congrès et dans la fidélité de ses amis de l’équipe Bush, Sharon a choisi la veille de sa visite à Washington pour déclarer qu’il ne s’attend à aucune pression de la part des Américains pour l’obliger à démanteler les colonies. « Personne n’exerce la moindre pression, a-t-il déclaré. Aucune négociation sur une modification de la politique israélienne concernant les colonies n’est à l’horizon. » Ce qui est une rebuffade directe à l’égard du secrétaire d’État Colin Powell, lequel vient de faire une tournée dans la région pour promouvoir la « Feuille de route » du processus de paix israélo-palestinien. C’est aussi une contestation de plein fouet de la « vision » du président Bush d’une Palestine indépendante vivant en paix aux côtés d’Israël.
Rares sont ceux, dans la région, qui croient que Bush a le pouvoir, ou même le désir, de s’opposer à Sharon. Bush a fait preuve, ces deux dernières années, d’une totale passivité pendant que Sharon saccageait les territoires palestiniens occupés, assassinant les activistes et beaucoup de civils innocents, détruisant les maisons et les vergers, annexant des terres, imposant à la population des bouclages et des couvre-feux cruels – assassinant aussi, à l’occasion, des pacifistes américains et britanniques.
Les idéologues américains des médias et des think-tanks tentent d’expliquer que l’opposition à la politique américaine est orchestrée par des fanatiques, et qu’elle est le produit de sociétés « malades et arriérées ». Cette représentation des choses a obscurci le jugement de beaucoup d’Américains et les a coupés de la réalité politique.
Souvent formulée en termes religieux, la résistance aux États-Unis est essentiellement politique. C’est une réponse à la politique américaine et israélienne, et, contrairement aux idées reçues qui sévissent à Washington, elle n’a rien – ou pas grand-chose – à voir avec les conditions sociales, économiques ou politiques qui règnent dans les pays arabo-musulmans. Que la société arabo-musulmane ait, dans tous ces domaines, un urgent besoin de réformes est indiscutable. Mais ce qui est aussi évident est l’existence d’une résistance populaire, aujourd’hui largement répandue, à la politique hostile de la dangereuse superpuissance qu’est l’Amérique et de ses alliés abusifs.

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