Radis noirs et autres crudités

L’écrivain franco-camerounaise publie un roman riche en ébats. Exercice de style ou calcul médiatique ?

Publié le 19 mai 2003 Lecture : 3 minutes.

Calixthe Beyala s’est mise à son tour à la littérature érotique – pour ne pas dire pornographique -, un genre où, depuis quelques années, les écrivains occidentales s’en donnent à coeur joie. Pour situer d’emblée le cadre de son récit, elle est allée en chercher le titre dans l’oeuvre de Léopold Sédar Senghor. Plus précisément dans le recueil Chants d’ombre, publié en 1945. Qu’en aurait pensé le poète-président sénégalais décédé en décembre 2001 ? Il n’est pas sûr qu’il aurait apprécié un texte aussi cru. Non pas que l’ancien académicien ait été particulièrement bégueule. Bien au contraire. Nombre de ses poèmes rendent hommage au corps de la femme. Mais entre les allusions à « l’arc frémissant des seins de Salimata Diallo » (Poèmes perdus) et les scènes de fornication collective imaginées par Calixthe Beyala, il y a un monde.
La romancière franco-camerounaise le reconnaît elle-même sans ambages. Les formulations senghoriennes ne font pas partie de son arsenal linguistique. Ses mots à elle « déglinguent, dévissent, culbutent ». La tendresse et le romantisme n’ont pas leur place dans son récit. L’amour est purement physique et ne s’embarrasse guère de préliminaires. On va droit au but, dans toutes les positions, et souvent en groupe.
L’histoire, maintenant. Femme nue, femme noire se déroule à New Bell, gigantesque quartier de Douala où, soit dit en passant, a grandi l’auteur du livre. L’héroïne, Irène, une jeune délinquante, est recueillie par un couple que soude de subtils jeux sexuels. Non seulement elle est associée à leurs ébats, mais, le bruit ayant couru qu’elle est complètement toquée (ce qui semble être le cas), elle voit tout le quartier défiler dans son lit. La tradition veut en effet que « baiser une folle est un puissant remède contre les maux de la Terre ». Toujours est-il que le jeune fille peut s’abandonner à sa lubricité naturelle tout en découvrant le pouvoir qu’elle peut tirer de ses fesses comme du reste de sa magnifique anatomie.
Calixthe Beyala ne révolutionne pas le genre. Comme c’est souvent le cas avec cette littérature, l’intrigue n’a pas grand intérêt. Mais si on a du mal à suivre les pérégrinations de la belle Irène, on a vite compris que son sexe est ouvert à toutes les aventures.
Il reste que ce livre est une première pour un écrivain d’Afrique francophone. Certes, les scènes érotiques sont devenues banales dans les romans des auteurs subsahariens. Mais jamais le sexe n’a été, comme ici, le sujet même d’un ouvrage de fiction. L’entreprise était délicate, car si, en Afrique, la sexualité est en général plus libre qu’en Occident, sa représentation n’est pas chose facile.
Sur ce plan, Calixthe Beyala s’en sort bien, faisant preuve d’une grande inventivité lexicale. Pour désigner l’organe viril, par exemple, dans la même page ou presque, elle parle de plantain, d’aubergine, de radis noir, d’anguille boursouflée, de poisson glissant…
Drapée dans sa réputation sulfureuse, l’écrivain franco-camerounaise ne craint plus de choquer. Elle n’est pas à une polémique près. Son livre ne sera pas au programme des collèges d’ici à demain, mais il connaîtra un joli succès commercial en Europe comme en Afrique. En attendant que l’auteur de Assèze l’Africaine revienne à la littérature.

Femme nue, femme noire, de Calixthe Beyala, éditions Albin Michel, 232 pp., 15 euros.

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