[Tribune] À Kinshasa, si tu ne sors pas, tu ne manges pas
Les autorités congolaises ont pris la bonne décision en décrétant l’état d’urgence et en décidant d’isoler Kinshasa pour éviter la propagation du Covid-19. Elles savent à quel point il sera difficile de faire appliquer convenablement les règles de distanciation sociale dans une ville où plusieurs millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire.
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Roger-Claude Liwanga
Chercheur à l’université Harvard, professeur de droit et de négociations internationales à l’université Emory.
Publié le 31 mars 2020 Lecture : 3 minutes.
Depuis que le président Félix Tshisekedi a annoncé les premières mesures pour tenter d’endiguer la maladie, il y a bientôt deux semaines, les responsables de la santé publique s’inquiètent de la hausse du nombre des contaminations et du taux de mortalité.
Ils s’évertuent à éduquer le public sur la manière de se comporter en temps de pandémie, en insistant sur le lavage régulier des mains, l’utilisation des désinfectants à base d’alcool et la restriction des salutations habituelles.
Mais comment une population à laquelle on impose des règles strictes de distanciation sociale peut-elle continuer à se nourrir ? Les habitants de la capitale congolaise pouvaient-ils vraiment respecter les trois semaines de « confinement total » qu’a voulu instaurer le gouverneur de Kinshasa, Gentiny Ngobila, avant de revenir sur sa décision ?
« Obimi te okolia te »
Bien sûr, pour les (rares) personnes disposant de ressources suffisantes, le message du gouverneur était clair : faites le plein de nourriture, restez à la maison et évitez les activités en groupe. Mais c’est irréaliste pour des millions de Kinois qui n’ont que de faibles revenus.
Or selon le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), plus 71% de la population congolaise vit avec moins de deux dollars par personne par jour. Toujours selon la même source, le taux de chômage est d’au moins 41% dans la seule ville de Kinshasa, et une large partie de ses habitants vit au jour le jour. « Obimi te okolia te », aiment à répéter les Kinois : « Si tu ne sors pas, tu ne manges pas ».
Hausse des prix
Alors bien sûr, les règles de distanciation sociale sont indispensables pour lutter contre le coronavirus. Mais il faut veiller à ne pas prendre de décision qui compromettrait davantage encore la sécurité alimentaire de toutes ces personnes qui sont économiquement vulnérables.
Déjà, l’annonce du « confinement total » à Kinshasa a engendré une hausse spectaculaire des prix des denrées alimentaires. Il ne faudrait pas que les conséquences socio-économiques du Covid-19 fassent plus mal que le virus lui-même.
Certains, à l’instar de l’archevêque de Kinshasa, le cardinal Fridolin Ambongo, pensent que le gouvernement central ou provincial devrait envisager des solutions humanitaires ciblées pour faire en sortent que les plus démunis ne meurent de faim pendant leur confinement.
Conscient de la gravité de la situation, le gouvernement a condamné les récentes augmentations des prix des denrées alimentaires et ordonné la gratuité de l’eau et de l’électricité pendant deux mois.
Mais ces mesures sont-elles suffisantes ? C’est peu probable, même si la Constitution de la RD Congo, en son article 47, protège le droit à la sécurité alimentaire.
Stratégie plus robuste
Le gouvernement peut, à mon sens, adopter une stratégie plus robuste, en fournissant gratuitement de la nourriture aux plus démunis, en jugulant la hausse des prix des denrées alimentaires et en empêchant l’interruption des services d’eau et d’électricité pendant toute la pandémie.
Le gouvernement essaie de faire avec les moyens de bord.
Pour le reste, certains n’ont pas manqué de faire remarquer que cette crise posait, au-delà de cette question de l’insécurité alimentaire, celle de l’impréparation générale des autorités d’un pays qui a pourtant connu plusieurs épidémies d’Ebola.
Le Dr Jean-Jacques Muyembe, qui coordonne désormais le programme de la lutte contre le Covid-19 en RD Congo, a déclaré devant l’Assemblée nationale que le système sanitaire congolais était précaire, que ses hôpitaux étaient dépourvus des équipements et des désinfectants nécessaires à la protection des soignants.
Un membre du cabinet du président Tshisekedi, avec qui j’ai échangé par téléphone, est allé jusqu’à me dire que « le gouvernement essaie de faire avec les moyens de bord ». En matière d’équipements médicaux, la RD Congo paraît désormais dépendre de l’assistance que veulent bien lui apporter la Chine ou l’OMS.
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