Mozambique : « Les Sables de l’empereur », un roman historique haletant de Mia Couto
Avec « Les Sables de l’empereur », l’écrivain Mia Couto nous replonge dans l’histoire coloniale du Mozambique, à la fin du XIXe siècle.
Le recueil de nouvelles est son format de prédilection, la poésie est l’élan de toutes ses œuvres, le conte est au cœur de son écriture. Le nouveau roman de Mia Couto, Les Sables de l’empereur, réunit trois livres initialement publiés en portugais.
Cette trilogie nous entraîne à la fin du XIXe siècle, à l’époque où l’empereur Ngungunyane tente de résister à la conquête coloniale des empires européens, et plus spécifiquement du Portugal. Dans ce décor politique et militaire, de Nkokolani à Lisbonne, Mia Couto s’empare de la petite histoire pour parler de la grande.
Et c’est à travers deux narrateurs qu’elle se déploie : Imani et le sergent Germano de Melo. Des personnages qui défient toute tentative d’étiquetage et à travers qui l’on découvre les rêves et les croyances de deux camps a priori dissemblables. « L’Histoire est plus complexe qu’une lecture qui mettrait d’un côté les bons, de l’autre les mauvais, d’un côté les héros, de l’autre les vaincus », insiste l’auteur mozambicain, qui est aussi biologiste.
Violence du processus colonial
À travers les lettres que Germano de Melo adresse à l’un de ses supérieurs, et celles qu’il reçoit d’autres soldats, se déploie toute la violence du processus colonial, le racisme, la domination par les armes, la religion, et les langues.
Et ce n’est pas sans discernement, alors qu’il est isolé, sans moyen, et sans caserne, que le sergent, extradé au Mozambique pour avoir fomenté une révolte républicaine au Portugal, questionne : « Que pensent les nègres de nous ? Quelles histoires fabriquent-ils au sujet de notre présence ? […] Je suis malade du Portugal. Ma maladie n’est rien que le déclin et la pourriture de mon pays. […] Notre patrie sans avenir, vidée par la cupidité d’une poignée. »
Écrire, c’est montrer qu’il y a d’autres points de vue, plusieurs manières de raconter.
Issue d’une famille divisée entre l’alliance avec les Portugais et l’association avec Ngungunyane, Imani fait office de traductrice. Elle sait lire, écrire, et navigue entre les langues, entre les mondes. Elle s’interroge sur son appartenance : « Je suis une créature de frontières. »
Une formule que reprend à son compte Mia Couto : « Je suis un Blanc qui vit dans un pays majoritairement noir, écrivain dans un espace où l’oralité domine, je ne suis pas croyant sur un territoire religieux. » Et de poursuivre : « Écrire, ce n’est pas juste se mettre au défi de passer de l’oral à l’écrit, c’est plus philosophique : montrer qu’il y a d’autres points de vue, plusieurs manières de raconter. »
Un roman haletant
Pour appuyer son propos, il évoque la multiplicité des langues qui existent au Mozambique, il souligne que traduire ça n’est jamais passer d’un mot équivalent à un autre et que les langues transportent avec elles des imaginaires. « En ce sens, je suis davantage un traducteur qu’un écrivain », affirme-t-il. La littérature a alors ce pouvoir : faire ressentir et dialoguer la multiplicité des voix, des récits, des perceptions du réel et des invisibles. D’où l’enjeu primordial de la traduction des œuvres.
Et Mia Couto ne manque pas de souligner que, en la matière, les rapports coloniaux de domination persistent. Il suffit de faire état du circuit d’édition et des « centres » à partir desquels circulent encore beaucoup de livres.
Œuvre de décentrement, Les Sables de l’empereur est un roman haletant, dans lequel, comme le dit Imani, « nous naviguerons comme on voyage toujours : à travers des souvenirs et des rêves ».
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