Le mutant américain et l’étudiante afghane

Une superproduction hollywoodienne et un film d’auteur iranien ont marqué les débutsde la 56e édition du Festival de Cannes.

Publié le 19 mai 2003 Lecture : 3 minutes.

Les organisateurs du Festival de Cannes aiment bien rappeler qu’ils proposent chaque année depuis plus d’un demi-siècle la plus grande manifestation cinématographique mondiale. Un événement qui, au niveau de sa couverture médiatique, n’est devancé – seulement tous les quatre ans – que par la Coupe du monde de football et les jeux Olympiques. Voilà sans doute pourquoi le Festival, alors même qu’il s’agit là avant tout du grand rendez-vous annuel du cinéma d’auteur, entend aussi créer l’événement avec des avant-premières de films internationaux à gros budgets, le plus souvent hollywoodiens, dont les vedettes planétaires seront appelées à monter, sous les flashs de centaines de photographes, les fameuses marches drapées de rouge du Palais de la Croisette.
En ce mois de mai 2003, plus que le médiocre film d’ouverture, un remake de Fanfan la Tulipe produit par Luc Besson, avec Penelope Cruz et Vincent Perez, c’est Matrix Reloaded, suite du succès planétaire du même nom, qui était invité, hors compétition, à jouer ce rôle de locomotive médiatique pour lancer la 56e édition de la manifestation. Sur l’immense écran du Bunker, autre nom du bâtiment très massif qui abrite le versant « officiel » du Festival sur le bord de mer, on a donc pu voir le film philosophico-futuriste des frères Wachowski déverser sa cascade d’effets spéciaux spectaculaires et de combats très chorégraphiés (ah ces « ralentis suspendus » !) et très violents entre des mutants de l’espèce humaine et des représentants de l’« empire des machines ». Le tout dans un univers de science-fiction très sophistiqué où ne manque aucun composant imaginable des vaisseaux spatiaux des siècles à venir et où l’on explore toutes les possibilités de la perception à distance ou du clonage humain tels que les imaginent les auteurs.
Un film qui ravira les amateurs du genre, même si quelques « accros » de Matrix 1 se sont plaints de la part trop importante accordée cette fois à une histoire d’amour dans un spectacle où seule l’action devrait primer. On peut pourtant rester perplexe devant une telle oeuvre qui, apparemment sans grande prétention intellectuelle, fait pourtant passer, à coups de grandes phrases sentencieuses et de passages à l’acte de héros tous très primaires, une vision du monde manichéenne et brutale, mais aussi « religieuse », qui ne déplairait certainement pas aux admirateurs de George W. Bush, version va-t-en-guerre moralisateur.
L’autre grand choc du début du Festival évoque aussi – indirectement du moins – un conflit armé, l’avant-dernier mis en scène par le même Bush, autrement dit celui d’Afghanistan. Mais d’une tout autre façon, à hauteur d’homme, avec beaucoup de tendresse et une grande subtilité. Dans À cinq heures de l’après-midi, la jeune surdouée du cinéma iranien, Samira Makhmalbaf, à peine 23 ans et trois longs-métrages à son actif, montre ce que peuvent signifier la guerre et l’après-guerre pour la population civile, et en particulier les femmes. Comment peut-on survivre aujourd’hui, à la fois physiquement, intellectuellement, sentimentalement, symboliquement, dans un pays qui a abrité – ce n’est pas un hasard – le pouvoir des talibans pendant des années et qui a été en grande partie détruit par ceux qui sont venus pour en chasser les dirigeants, liés à Ben Laden ?
À mi-chemin entre le documentaire et le film de fiction, À cinq heures de l’après-midi a été tourné pour l’essentiel à Kaboul, en 2002, au moment où les écoles sont ouvertes à nouveau aux filles. Et l’on va suivre pendant quelques jours le parcours de l’une de ces lycéennes, à vrai dire presque une jeune femme, qui veut à la fois se libérer par le savoir et aider dans la vie quotidienne son père et sa belle-soeur, tout ce qui lui reste de sa misérable famille, des plus traditionnelles, tout en rêvant de devenir… présidente de la République. Ce qui nous permet de plonger dans l’Afghanistan réel de l’après-Mollah Omar, d’où la beauté et la poésie ne sont pas absentes, mais où la faim tenaille encore et où 90 % des femmes portent toujours le burqa.
Un autre cinéma assurément que celui que représente Matrix. Moins populaire et moins spectaculaire, mais tout aussi passionnant et agréable à voir – les images sont superbes et les situations décrites souvent drôles et toujours touchantes. Un cinéma sans doute nécessaire. Pour montrer justement que, comme le dit Samira Makhmalbaf, « ce n’est pas Rambo qui peut sauver des peuples », mais un effort de compréhension de ce qu’ils vivent et que les médias « classiques » ne rapportent guère. Du cinéma qui, sans jamais ennuyer, veut moins divertir que montrer. Et qui, on ne s’en plaindra pas, est majoritaire à Cannes.

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