Le fil de l’Histoire

Publié le 19 mai 2003 Lecture : 2 minutes.

Au-delà de l’effarante singularité du génocide, considérer le Rwanda comme une exception africaine n’est pas une banalité, mais une réalité, dont le rappel permet de mieux saisir les enjeux de cette année décisive. Contrairement à la quasi-totalité des pays membres de l’Union africaine, le Rwanda est un État-nation multiséculaire reposant non pas sur des ethnies multiples, mais sur deux composantes humaines Hutus et Tutsis à la fois profondément différenciées et profondément semblables. Fondues dans le moule étatique et national créé par la monarchie pré-coloniale, les deux populations partagent la même langue et la même conscience d’appartenir à une seule et unique nation. Pourtant, l’application de la mathématique électorale classique et démocratique à ce pays si singulier a jusqu’ici tragiquement échoué : non sans raisons, les Tutsis, minoritaires, ont toujours considéré que les Hutus cherchaient à profiter de leur démographie dominante pour se créer une rente de pouvoir éternelle ; non sans raisons, les Hutus, majoritaires,
ont toujours soupçonné les Tutsis de vouloir compenser par la force leur infériorité numérique. Comment sortir de ce cercle vicieux ? En attendant le jour où cet État bicommunautaire aura donné naissance à un État monogame majoritairement composé de « Hutsis » ce qui prendra forcément du temps , force est de reconnaître qu’au Rwanda, comme en Europe, ce n’est pas la démocratie, le one man one vote, qui a forgé l’État-nation, mais l’inverse. Et que seul un pouvoir fort est susceptible de créer les conditions de ce que la communauté internationale appelle le partage démocratique du pouvoir.

Or cet acquis à la fois pratique et culturel existe au Rwanda, pays qui, en outre, possède un degré élevé de centralisation institutionnelle. Faut-il, dès lors, reprocher à Paul Kagamé d’user de ce cadre pour prévenir, en cette année 2003, tout dérapage électoral ? Certes non, même s’il convient d’être vigilant à l’égard de toute tentation autocratique. Faut-il en vouloir au pouvoir en place à Kigali s’il considère, toujours en référence à sa propre histoire, que les Rwandais ne sont pas d’abord francophones ou anglophones, mais kinyarwandophones ? Certes non, et l’une des erreurs de la diplomatie française est sans doute de s’acharner à croire que le Rwanda regarde vers l’Ouest alors que tout le rattache à l’Est et au Sud. Faut-il s’offusquer de ce que le Front patriotique rwandais (FPR, au pouvoir et qui entend bien le rester à l’issue du processus de mise à niveau démocratique en cours) considère l’ingérence humanitaire et politique comme une sorte de néocolonialisme de la pitié ? Certes non ; si le génocide n’a pas absous a posteriori les dirigeants rwandais actuels de leurs erreurs, il continue d’en relativiser le poids et la portée.

la suite après cette publicité

Observer, analyser, critiquer avec discernement, mais sans discréditer ni condamner a priori cette année de tous les espoirs et de tous les dangers, est donc le meilleur service que la communauté internationale, qui a tant failli dans le passé, puisse rendre au Rwanda. Il n’est pas si fréquent qu’un pays tente de renouer sous nos yeux les fils de sa propre histoire.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires