Brésil-Afrique : retour à la case-départ ?
Il y a dix ans, le géant d’Amérique latine affichait clairement sa volonté d’augmenter le commerce avec le continent. Aujourd’hui, la diplomatie économique de Brasília semble marquer le pas.
C’est un exploit que peu de pays ont réalisé. Coup sur coup, le Brésil accueille la Coupe du monde de football, qui démarre ce 12 juin, puis les Jeux olympiques, en juillet 2016. Après avoir connu des décennies de régimes militaires et une longue période d’hyperinflation dans les années 1980, le géant agricole d’Amérique latine s’est remis sur pied. Il figure aujourd’hui parmi les dix plus grandes économies du monde en termes de PIB.
Sud-Sud
Ce Brésil, membre de l’influent groupe des Brics (aux côtés de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud), dont le prochain sommet, le 15 juillet à Fortaleza, vise à renforcer les relations Sud-Sud, « a lancé au cours des dix dernières années un vaste mouvement vers l’Afrique, avec pour objectif d’augmenter significativement le commerce bilatéral et la présence de ses entreprises », rappelle Carlos Mauricio Maia Ribeiro, avocat associé du cabinet brésilien Vieira Rezende.
C’est Luiz Inácio Lula da Silva qui a mis en oeuvre cette politique, en 2003, quelques mois après son élection en octobre 2002. L’ancien chef de l’État, qui s’est rendu douze fois en Afrique au cours de ses deux mandats, a doublé le nombre d’ambassades brésiliennes sur le continent et multiplié les missions économiques dans des pays comme l’Afrique du Sud, le Kenya, le Ghana, le Nigeria…
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« L’un des principaux acteurs de cette stratégie expansionniste est la Banque nationale de développement économique et social, qui a créé un bureau africain à Rio de Janeiro en 2013, après avoir ouvert une antenne à Johannesburg. Le Brésil considère l’Afrique du Sud comme sa porte d’entrée sur le continent », poursuit Carlos Mauricio Maia Ribeiro.
Minerais
Mais au moment où toute l’Afrique tourne son regard vers le Brésil, qu’en est-il de sa présence sur le continent ? D’après les derniers chiffres disponibles, fin 2012, le commerce entre le Brésil et les économies africaines a atteint 27,6 milliards de dollars (21 milliards d’euros). Ce montant est encore loin des 198,5 milliards de dollars d’échanges entre le continent et la Chine, mais il a été multiplié par six depuis 2002.
Les minerais ont représenté 84 % (14,3 milliards de dollars) des importations brésiliennes en provenance d’Afrique tandis que les exportations à destination du continent se concentrent sur les produits agricoles. Cet appétit du Brésil pour les ressources naturelles conduit à une balance des paiements en faveur de l’Afrique.
Le Brésil a laissé Vale se dépêtrer seul dans ses problèmes en Guinée, illustre l’avocat Thierry Lauriol. Jamais un groupe chinois n’aurait été ainsi abandonné par Pékin !
Et si, pour des raisons linguistiques, il est plus facile pour le Brésil de commercer avec les anciennes colonies portugaises, son horizon commercial s’étend bien au-delà : ses plus gros partenaires sont le Nigeria, l’Algérie, l’Afrique du Sud et l’Égypte. À eux seuls, ces quatre pays représentent plus des deux tiers des volumes d’échanges entre le Brésil et l’Afrique.
Quatre entreprises brésiliennes qui s’exportent
Petrobras
Fort d’un chiffre d’affaires de près de 95 milliards d’euros en 2013, le groupe pétrolier mène des activités d’exploration dans sept pays d’Afrique : Angola, Bénin, Gabon, Libye, Namibie, Nigeria et Tanzanie. Côté exploitation, Petrobras est actif en Angola et au Nigeria, pays qui ont représenté une production de 52 100 barils par jour en 2012 (sur un total mondial de plus de 2 millions de barils par jour).
Vale
Le leader mondial du fer (35 milliards d’euros de revenus d’exploitation en 2013) est présent en Angola, au Malawi, en Zambie, au Mozambique (où il a produit 3,8 millions de tonnes de charbon en 2012) et en Guinée. Conakry lui a retiré ses licences sur le mont Simandou, détenues en partenariat avec BSGR (de Beny Steinmetz, soupçonné de corruption). Vale pourrait concourir à nouveau pour les mêmes lots, seul cette fois-ci.
Embraer
L’avionneur brésilien compte plus de 160 appareils (dont 80 jets) en Afrique, dans une vingtaine de compagnies, dont Egyptair, Kenya Airways et Royal Air Maroc. Embraer a ouvert un centre de maintenance en Afrique du Sud en octobre 2012. Il compte doper son chiffre d’affaires (4,5 milliards d’euros en 2013) grâce à l’engouement de ses clients africains pour les petits avions de 50 à 100 places et les jets d’affaires.
Odebrecht
Si le groupe familial de BTP (31 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2012) était déjà présent en Angola dès 1984 pour construire la centrale hydroélectrique de Capanda (520 MW), son regain d’intérêt pour l’Afrique est relativement récent. Odebrecht s’est diversifié dans le diamant, les biocarburants et l’immobilier, et a étendu ses activités dans une dizaine de pays du continent, dont le Gabon, le Congo et Djibouti.
Reste que l’offensive lancée par Lula – et menée sur le terrain par des entreprises comme le minier Vale et le pétrolier Petrobras – a marqué le pas ces deux dernières années, avec l’arrivée de Dilma Rousseff au pouvoir et l’apparition de difficultés à l’intérieur du pays. De fait, pendant que les autres membres des Brics, notamment l’Inde et la Chine, poursuivent leur percée en Afrique, les Brésiliens peinent à avancer.
« Petrobras et Vale, qui ont été des groupes brésiliens pionniers en Afrique, sont clairement dans une phase de repli, volontaire pour Petrobras, plus ou moins contraint dans le cas de Vale, qui aurait souhaité rester en Guinée », soutient Thierry Lauriol, avocat associé du cabinet Jeantet (partenaire de Vieira Rezende).
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Défis
Pour Carlos Mauricio Maia Ribeiro, il ne faut pas oublier que la plupart des groupes brésiliens, contrairement à leurs concurrents asiatiques, sont de nouveaux acteurs sur les marchés africains et qu’ils apprennent encore à les connaître.
Par ailleurs, « même si elles affichent leur intérêt pour le continent, ces entreprises accordent toujours la priorité aux investissements dans leur pays, aux dimensions continentales et qui doit relever d’énormes défis concernant le développement de certaines régions et de certains secteurs économiques », signale-t-il.
Il y a quelques années, Petrobras avait décroché des permis pétroliers en Afrique, aidé par sa volonté de favoriser les transferts de compétences. Au Gabon, notamment, le groupe avait racheté 50 % des blocs offshore de Mbeli et de Ntsina. Mais aujourd’hui, le pétrolier ne se positionne plus sur les appels d’offres et affiche son intention de privilégier les projets brésiliens.
Enfin, la diplomatie économique brésilienne en Afrique a perdu de sa vigueur, laissant l’initiative à des entreprises privées (Odebrecht, Votorantim, Andrade Gutierrez…) arrivées plus tard sur le continent, notamment dans le BTP et les matériaux de construction. Les pionniers, eux, ne sont plus aussi soutenus que par le passé. Un exemple ?
« L’État a laissé Vale se dépêtrer seul dans ses problèmes en Guinée, illustre Thierry Lauriol. Brasília n’est pas intervenu auprès du gouvernement à Conakry pour aider Vale à garder les gisements de fer du mont Simandou, dont il a été dépossédé. Dans une situation similaire, jamais un groupe chinois n’aurait été ainsi abandonné par Pékin ! »
« Les lendemains de fête pourraient être difficiles »
Interview de Carlos Quenan, professeur à l’université Paris-3 et vice-président de l’Institut des Amériques
Jeune Afrique : Un an après des manifestations monstres contre le coût de la vie, quel est le climat économique au Brésil ?
Carlos Quenan : Morose. Le Brésil est installé dans une croissance médiocre, de 1 % en 2012 et 2,3 % en 2013 tandis que l’inflation reste élevée, autour de 6 %. Il vit donc une « stagflation ». Le pays avait bien résisté à la crise des subprimes et avait même connu une éphémère euphorie en 2010, avec une croissance de 7,5 %. L’hebdomadaire The Economist en avait même fait sa une, avec le Christ du Corcovado en train de décoller, à l’image du Brésil !
Mais cette résilience était due au boom des exportations de matières premières, soutenu par l’explosion de la demande chinoise, et à la politique sociale antérieure du président Lula, qui avait nettement amélioré les salaires et la protection sociale grâce à la bolsa familia [une aide publique qui permet aux familles pauvres de doubler leurs revenus dès lors qu’elles envoient leurs enfants à l’école et les font vacciner]. La croissance était essentiellement tirée par la demande domestique.
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