Le choix des urnes

Référendum, présidentielle et législatives… les Rwandais entament un véritable marathon électoral placé sous le signe du consensus.

Publié le 19 mai 2003 Lecture : 6 minutes.

Dans quelques jours, le 26 mai, la population rwandaise sera appelée à se prononcer par référendum sur la nouvelle Constitution du pays. Cette première étape sonne comme la fin d’un régime d’exception en vigueur depuis le génocide d’avril 1994. Les élections législatives et présidentielle qui se tiendront en novembre prochain devraient enfin concrétiser le retour à une vie institutionnelle normale. Dans les cabarets de la capitale, les discussions tournent pourtant davantage autour de la crise au Congo et des relations tendues avec l’ancien allié ougandais, de l’augmentation du prix du carburant ou du manque de pluie qui risque de retarder les récoltes… Bref, pas de tension ni d’excitation particulièrement perceptibles. Au siège du parti au pouvoir, le Front patriotique rwandais (FPR), on assure que tout se prépare avec « calme et sérénité » et que ces échéances électorales ne sont que des « activités normales de la vie politique ».
Le FPR, qui a gardé la discipline et l’esprit de corps issus de la lutte armée, s’est pourtant toujours méfié de ce multipartisme qui a été incapable de casser la poussée extrémiste ayant conduit au génocide. Neuf ans après, le spectre des divisions ethniques hante encore durablement la classe politique. « Never again n’est pas un proverbe comme un autre », clamait le président Paul Kagamé, lors de la neuvième commémoration des événements à Rwamagana, à l’est du pays, le 7 avril dernier. « Ce qui est arrivé n’est pas un accident, c’est le résultat d’une politique divisionniste sciemment menée par certains politiciens. À la lumière de notre histoire, il nous faut inventer une nouvelle façon de penser. » Une déclaration qui, dans la pratique, se traduit autour d’un principe simple et impérieux : tous les partis politiques doivent être intégrés dans un projet global de société, fondé sur l’unité et la réconciliation de tous les Rwandais. Depuis 1994, les huit formations autorisées sont regroupées au sein d’un forum, placé sous la houlette du FPR : si les différents courants ont voix au chapitre, par exemple lors des discussions sur les avant-projets de loi, ils ne peuvent en revanche exercer aucune activité politique normale. En un mot, si les partis rwandais ont un programme, ils n’ont pas de militants pour le défendre. Dans ce contexte de liberté politique réduite, les problèmes que rencontre aujourd’hui le principal parti d’opposition, le Mouvement démocratique républicain (MDR), ressemblent à un sérieux rappel à l’ordre. S’appuyant sur les conclusions d’une commission parlementaire, le Parlement a en effet recommandé, le 14 avril dernier, la dissolution du parti, accusé de propager une « idéologie divisionniste ».
Une décision exceptionnelle qu’il s’agit de relire à la lumière de la création du MDR, parti historiquement d’obédience hutue. Peu après sa renaissance, en 1991, lors de l’avènement du multipartisme, le MDR éclate en deux factions : d’un côté, le « Hutu Power », héritage du Parti du mouvement de l’émancipation hutu (Parmehutu), né de la Révolution sociale de 1959 qui a porté les Hutus au pouvoir en la personne du premier président Kayibanda ; de l’autre, le clan des modérés, qui fut bientôt éliminé par la victoire du discours ethnique. En changeant de comité directeur en juillet 1999, le parti entendait se refaire une virginité. Mais l’on soupçonne déjà le retour des vieux démons. « Les membres de la faction dite « modérée » sont téléguidés par les partis rivaux pour faire imploser le MDR », se défend Célestin Kabanda, président du MDR et accusé d’être le leader des « divisionnistes ». Secrétaire d’État au ministère des Finances et de la Planification économique, il a été contraint de démissionner le 5 avril.
« Quelle que soit la réalité des faits reprochés, le Parlement a fait ici le travail du ministère public, accuse un membre de la société civile. C’est toute l’ambiguïté de la loi sur le négationnisme et le génocide : reste à définir ce qui entre dans cette catégorie et ce qui n’y entre pas. » Un argument repris par certaines ONG internationales des droits de l’homme pour dénoncer l’arrestation, en avril dernier, de l’ancien président Pasteur Bizimungu et de Charles Ntakiruntinka, son ex-ministre des Transports et de la Communication. Leur parti, le PDR-Ubuyanja (Parti démocratique pour le renouveau) avait été interdit en mai 2001, et ils attendent toujours leur procès à la prison centrale de Kigali.
À la veille des échéances électorales, le débat sur la liberté des partis politiques est donc relancé. Alors que rien ne devrait fondamentalement changer. Le projet de loi électorale, qui sera discuté au Parlement après l’adoption par référendum de la Constitution, prévoit que les partis politiques ne seront autorisés à disposer de bureaux qu’au niveau provincial et non au plan local. Comment, dans ces conditions, être au plus proche de la population, alors qu’il leur est interdit d’organiser par exemple des meetings ? « Notre pays a besoin de partis d’élites et non de partis de masse comme en 1993, où chacun mettait un drapeau différent sur sa maison », soutient Higiro Prosper, président du Parti social-démocrate (PSD) et vice-président de l’Assemblée nationale de transition. Pour les responsables politiques, cette exigence se justifie par l’histoire troublée des dernières années : « C’est un pays très jeune sur le plan politique, explique Christian Marara, secrétaire général du MDR, branche dite « modérée ». Les gens ne sont pas assez matures. Au risque de raviver les rancunes et les vengeances, il ne faut pas bousculer les choses. Il faut avant tout assurer l’éducation civique des électeurs. »
Créer des partis « responsables », régis par un code de déontologie strict dont le Sénat sera garant, tel est le propos du multipartisme à la rwandaise : des hommes aux sensibilités différentes au service d’un projet unique. « Depuis 1994, les préoccupations du FPR et des autres formations sont identiques, reconnaît Alfred Mukezamfura, tout nouveau président du Parti démocrate chrétien (PDC). Tout le monde prône l’État de droit et la reconstruction. Certaines personnes ne savent pas différencier les partis, mais, de toute façon, on ne recherche pas l’adhésion de la masse. L’important pour nous est d’avoir cinq cents adhérents suffisamment actifs ! » La classe politique dans son ensemble s’est rangée derrière le sacro-saint consensus imposé par le FPR comme mode de gouvernance. « Nous devons faire la promotion d’une démocratie participative », renchérit François Ngarambé, un Tutsi revenu du Burundi en 1994 et secrétaire général du FPR depuis décembre 2002. « Le partage du pouvoir est une réponse à la politique d’exclusion qui a caractérisé notre pays. C’est une tare de la démocratie à l’occidentale que de se payer le luxe d’exclure les autres partis. » C’est ainsi que, conformément aux textes de la nouvelle Constitution, le Premier ministre et le président de l’Assemblée nationale devront appartenir à un parti différent de celui du président. De plus, aucune formation ne pourra cumuler plus de la moitié des vingt-six postes ministériels, malgré l’écrasante majorité affichée du FPR : « 75 % des électeurs sont militants de notre parti ! » rappelle François Ngarambé.
Dans la rue comme sur les collines, l’urgence est au maintien de la sécurité et à la lutte contre la pauvreté. Dans ce petit pays, où plus de 60 % de la population vit avec moins de 1 dollar par jour, les prochaines élections sont comme un défi à relever. Même si la méfiance persiste : « Je suis pour un parti fort, reconnaît Alphonse, ancien militant de la première heure du MDR. Que reste-t-il de mon parti aujourd’hui ? À l’époque du génocide, les plus modérés sont morts et les extrémistes sont devenus des tueurs… Toutes les tentatives de démocratie dans ce pays ont conduit aux massacres. » Face à cette peur généralisée du retour au chaos, Paul Kagamé semble encore être pour tous l’homme providentiel, garant de la stabilité. Reste à savoir pour combien de temps. Pour l’heure, seule une chose est certaine, car inscrite dans la Constitution : le prochain président rwandais sera élu pour sept ans, mandat renouvelable une fois.

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