La bonne surprise française

Un rapport réfute l’idée reçue selon laquelle l’Hexagone serait sur le déclin, mais ne manque pas de pointer du doigt ses faiblesses.

Publié le 19 mai 2003 Lecture : 5 minutes.

C’est Jacques Chirac qui va être rassuré… ou déçu par le rapport sur « la compétitivité » de la France, publié le 9 mai par le Conseil d’analyse économique (CAE) placé auprès de Matignon ! Ce rapport met en lumière que la France n’est pas sur le déclin, comme le président de la République l’avait prétendu tout au long de la campagne électorale de 2002, pour clouer au pilori la gestion de Lionel Jospin, son Premier ministre socialiste. La droite et une partie du patronat français s’étaient appuyés – et s’appuient encore – sur certains classements internationaux pour affirmer que le pays n’est plus dans la course de la mondialisation en raison d’un carcan réglementaire et d’impôts trop lourds qui font fuir les capitaux et les cerveaux. Faux, mais la France pourrait être bien plus efficace si elle s’en donnait les moyens, écrivent les auteurs de ce « rapport calme sur un sujet qui ne l’est pas », selon Christian de Boissieu, président délégué du CAE.
Michèle Debonneuil et Lionel Fontagné, qui ont rédigé cette étude, ont le mérite de clarifier la dispute qui a mélangé les notions de compétitivité, de concurrence et d’attractivité. Ils commencent par définir la compétitivité d’une nation comme sa « capacité à améliorer durablement le niveau de vie de ses habitants et leur procurer un haut niveau d’emploi et de cohésion sociale », selon les termes de la déclaration de Lisbonne de l’Union européenne de 2000. De ce point de vue, la France est-elle la première ou la dernière de la classe ? Ni l’une ni l’autre : l’institut européen de statistiques Eurostat a revu ses calculs et la positionne désormais au milieu, en compagnie de l’Allemagne et du Royaume-Uni. Le rapport disqualifie aussi les classements composites du World Economic Forum (WEF) ou de l’International Institute for Management Development (IMD) qui placent la France en queue de peloton. Il estime que ces indicateurs reposent sur une base théorique et sur une méthodologie « discutables ». D’où l’une des principales propositions formulées par les auteurs pour qu’à l’avenir le débat public ne soit plus empreint de démagogie : ils souhaitent la création d’un tableau de bord annuel de la compétitivité qui positionne la France au sein du G7, en combinant trente-trois indicateurs regroupés autour de trois thèmes, c’est-à-dire l’éducation, l’innovation et le positionnement dans les technologies de l’information et de la communication.
La bonne forme de la France est incontestable. Comme le montre le tableau ci-dessous sur les investissements directs étrangers (IDE), l’Hexagone séduit fortement les investisseurs puisque, avec 52,4 milliards d’euros entrants, elle a été en 2002 le premier pays d’accueil de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), devant l’Allemagne (40,4) et les États-Unis (32,4). Elle occupe même la deuxième place mondiale derrière la Chine qui aurait reçu environ 55 milliards d’euros d’IDE. Elle est l’une des économies les plus ouvertes d’Europe puisque les capitaux étrangers y contrôlent 17 % de la production nationale et 15 % de l’emploi. Deuxième paramètre favorable, la France est la championne du monde de la productivité horaire. Troisièmement, elle maintient sa part de marché mondial sur une longue période en matière de produits manufacturés, malgré la concurrence de pays émergents et à la différence de l’Allemagne et des États-Unis qui reculent. Quatrièmement, la qualité de ses produits est reconnue et lui vaut une forte proportion haut de gamme (45 %) dans ses exportations de produits de consommation courante. Enfin, le rapport dégonfle le mythe de l’imposition excessive des hauts revenus qui ferait fuir en Grande-Bretagne les top models et les footballeurs : jusqu’à 300 000 euros de revenus annuels bruts, et quelle que soit la composition de la famille du salarié, la fiscalité française supporte avantageusement la comparaison avec ses concurrentes.
Le rapport du CAE ne dissimule pas les points noirs de la compétitivité française. Le premier est identique à celui qui afflige le reste de l’Europe : depuis 1975, celle-ci a cessé de rattraper son retard sur les États-Unis en matière de niveau de vie et plafonne à 70 % du PIB par tête des Américains. L’explication de ce phénomène n’est pas à chercher dans une productivité horaire insuffisante, mais dans une utilisation de la main-d’oeuvre plus faible : certes, l’Europe – et notamment la France – travaille intensément, mais moins souvent en raison du taux de chômage (en 2001, 7,6 % en Europe et 4,8 % aux États-Unis), du plus faible taux d’activité des femmes et des plus de 55 ans et d’un moindre nombre d’heures travaillées (85 % du niveau américain). « Notre base productive souffre de deux lacunes, explique Michèle Debonneuil. D’une part, nous manquons d’activités créatrices dans le domaines des nouvelles technologies de l’information et de la communication par rapport aux activités accumulatrices comme l’automobile ou l’aéronautique. D’autre part, nous souffrons d’un déficit de services aux particuliers dont la productivité est faible, mais qui ont permis aux Américains de créer beaucoup d’emplois. » La carence en matière d’innovations s’explique en partie par la fiscalité française des entreprises qui est plus favorable aux activités industrielles très capitalistiques qu’aux activités innovantes.
Le deuxième talon d’Achille de la France est effectivement fiscal. Lionel Fontagné incrimine la fiscalité des sociétés. « Le niveau d’imposition n’est pas le critère déterminant pour l’implantation des firmes internationales, déclare-t-il, mais il influence leur décision. On sait qu’en moyenne un point d’impôt sur les sociétés réduit les investissements directs étrangers de 3,3 %. Or la France se trouve, avec la Finlande, parmi les pays européens les plus mal placés. Pis, elle ne participe pas à la convergence vers le bas qui est en cours dans les autres pays. » C’est pourquoi le rapport plaide pour une baisse limitée de l’impôt français sur les sociétés. Il souhaite la mise en place d’un cadre fiscal européen qui permettrait à chaque État de moduler ses taux en fonction des objectifs de convergence et à l’Union d’éviter une concurrence fiscale dangereuse.
En refermant ce rapport, on se dit que la France mérite l’appréciation qu’un maître écrirait en marge de la copie d’un élève moins talentueux qu’à son habitude : « s’endort sur ses lauriers ». C’est un peu ce qu’a conclu Michèle Debonneuil en soulignant le retard accumulé en matière d’activités de haute technologie : « Faute de mesures correctives, l’Europe et la France pourraient devenir des pays suiveurs. » Dans ce cas, le secrétaire à la Défense américain, Donald Rumsfeld, aurait eu raison de se gausser de « la vieille Europe » endormie et sans ambition.

* Compétitivité, rapport n° 40 du Conseil d’analyse économique, par Michèle Debonneuil et Lionel Fontagné, commentaires de Jean-Paul Fitoussi et Jean-Luc Tavernier, La Documentation française, 2003, 254 pp., 12 euros.

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