En attendant la France…

Paris serait prêt à participer à une force multinationale de maintien de la paix. Satisfaction à Kinshasa, tollé à Kigali.

Publié le 19 mai 2003 Lecture : 3 minutes.

Dans la région des Grands Lacs, la nouvelle a fait l’effet d’une bombe. « La France est disponible pour participer à une force multinationale ad hoc et temporaire, en appui de la Mission des Nations unies en République démocratique du Congo (Monuc) », a indiqué, le 15 mai, le porte-parole du ministère français de la Défense Jean-François Bureau. Non sans prendre soin de s’abriter derrière le parapluie onusien : cette force dont on ignore la taille et la durée de la mission – ne pourrait être envoyée qu’après l’adoption d’une résolution par les Nations unies, précise-t-on à Paris.
Seule certitude, elle serait destinée à appuyer le dispositif de l’ONU en Ituri, région située dans le nord-est de la RD Congo, où de violents combats opposent des milices hemas (ethnie minoritaire) et lendues (majoritaire) pour le contrôle de la région, frontalière avec l’Ouganda. Dans la ville de Bunia, des attaques ont même visé les installations des Nations unies.
Reste que la mise en oeuvre d’une telle expédition serait pour le moins ardue. Dans cette zone particulièrement enclavée, « la projection de forces et leur soutien ne peuvent se faire que par moyens aériens », précise l’état-major français. Dans cette région vivent entre cinq millions et six millions de personnes, dont un demi-million de déplacés, privées de toute infrastructure de communication. La force française, si elle devait être envoyée, aurait pour mission de sécuriser l’aéroport de Bunia, indique-t-on à Paris. Or un tel envoi nécessiterait « des rotations de dizaines de gros- porteurs et d’avions de transport tactique […] dans un contexte assez dangereux, et nécessitant des moyens de combat conséquents ».
Mais ces considérations stratégiques ne sont pas les seuls obstacles qu’aurait à surmonter la France si elle devait intervenir dans la région. Sur le plan diplomatique, cette hypothèse provoque déjà des remous à Kigali, le Rwanda jugeant « malvenu » l’éventuel déploiement d’un bataillon français dans l’ex-Zaïre. « Le secrétaire général de l’ONU devrait prendre en considération les événements de 1994 », a expliqué Patrick Mazimhaka, conseiller à la présidence rwandaise. À Kigali, l’opération Turquoise a laissé un souvenir amer. Pendant le génocide de 1994, Paris avait envoyé une mission militaro-humanitaire qui avait joué un rôle pour le moins controversé. Kigali accuse toujours la France d’avoir alors favorisé la fuite vers la RDC des principaux planificateurs et des milices à l’origine des massacres. « L’ONU a mis les Français dans une situation très difficile en 1994 en les obligeant à évacuer les génocidaires. Or ces criminels sont toujours présents dans la région, y compris en Ituri, estime Patrick Mazimhaka. Donc, la population risque de penser que les Français viennent à nouveau pour les protéger. » Le président de la RDC Joseph Kabila sera certainement moins réticent que son homologue rwandais à voir l’ONU intervenir dans une région qui échappe totalement à son contrôle.
Enfin, en multipliant ses actions au sud du Sahara, Paris risque, plus largement, de susciter des réticences chez ses partenaires africains. Outre ses troupes prépositionnées sur ses bases de Libreville (Gabon), N’Djamena (Tchad), Dakar (Sénégal), Port-Bouët (Côte d’Ivoire) et Djibouti, Paris a déployé environ 4 000 hommes en Côte d’Ivoire dans le cadre de l’opération Licorne, et apporte un soutien logistique aux forces de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) à Bangui. Sollicité pour prendre part à la stabilisation de l’Ituri, Ottawa a répondu par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Bill Graham, que le Canada ne pouvait « être partout à la fois », compte tenu de ses engagements actuels ou à venir en Afghanistan, en Bosnie et en Irak. Son homologue français Dominique de Villepin, semble, lui, penser l’inverse. Il n’ignore pourtant pas que le terrain est « miné ».
Les massacres commis dans le district de l’Ituri pourraient s’apparenter à un génocide, estime aujourd’hui le procureur du Tribunal pénal international Carla Del Ponte. Depuis 1999, les affrontements interethniques ont fait quelque 50 000 morts, et les milices, instrumentalisées par les pays voisins, ont régulièrement servi d’alibi aux troupes étrangères pour justifier leur présence en RD Congo (voir pages 60-61). Last but not least, des cas de choléra y ont été signalés le 15 mai. Bref, les habitants de Bunia ne sont pas encore au bout de leurs peines.

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