Chronique d’une guerre avortée

Rwandais et Ougandais ne s’affronteront pas directement sur le territoire congolais. Mais leurs relations ne s’améliorent pas pour autant.

Publié le 19 mai 2003 Lecture : 5 minutes.

La guerre entre le Rwanda et l’Ouganda, en territoire congolais, n’aura pas lieu. Du moins pas dans l’immédiat. Après plusieurs semaines de suspens, les troupes ougandaises ont finalement commencé, le 24 avril dernier, à quitter l’Ituri, au nord-est de la République démocratique du Congo (RDC), à proximité de la frontière ougandaise. Elles ont été remplacées par un petit contingent de 200 militaires uruguayens chargés, sous mandat de l’ONU, de maintenir l’ordre et de faciliter la mise en place de nouvelles institutions administratives et politiques gérées par des civils. D’après la Mission des Nations unies pour le Congo (Monuc), il y avait jusqu’alors entre 6 500 et 7 000 soldats ougandais dans le district de l’Ituri. Une présence que les autorités rwandaises jugeaient dangereuse pour leur sécurité – leurs propres soldats s’étant retirés de RDC le 5 octobre 2002 – et illégale, car contraire aux accords de retrait total signés à Luanda (Angola) entre les présidents ougandais Museveni et congolais Kabila, le 6 septembre 2002. Même si la région de l’Ituri reste très troublée (voir encadré), ce départ sonne donc comme le début d’un retour au calme entre ces deux voisins qui se sont affrontés par mouvements rebelles interposés.
Tout commence le 6 mars dernier, lorsque les forces armées ougandaises (UPDF) attaquent la ville de Bunia, dans l’Ituri, en arguant que leur sécurité est menacée. La ville était alors le fief de Thomas Lubanga et de son UPC/RP (Union des patriotes congolais pour la paix et la réconciliation). Cette rébellion s’était affranchie en janvier dernier de son allié ougandais pour nouer des alliances avec le RCD-Goma (Rassemblement congolais pour la démocratie), mouvement soutenu par le Rwanda. Cette attaque ravive les tensions entre les deux pays, et Kigali menace de renvoyer ses soldats si les Ougandais ne se retirent pas immédiatement du Congo. Vient alors le temps de la médiation de la Grande-Bretagne, ancienne puissance coloniale de l’Ouganda et alliée incontournable de Kigali, puis des négociations sous l’égide des présidents sud-africain Thabo Mbeki et tanzanien Benjamin Mpaka, celui-ci faisant office de médiateur. Si la guerre semble avoir été évitée, cette crise n’en reste pas moins un événement majeur dans la bataille que se livrent les deux voisins depuis quatre ans.
Comment des anciens alliés et frères d’armes en sont-ils arrivés là ? « C’est un simple problème de domination qui résulte de notre propre histoire, soutient Charles Murigande, ministre des Affaires étrangères rwandais. Pendant longtemps, l’Ouganda a pu exercer son leadership sur les réfugiés rwandais. Mais quand les exilés sont rentrés, Kampala a voulu maintenir cette relation de maître à subordonné sur notre pays et continuer à tout contrôler. » Il fut en effet un temps où régnaient l’entraide et la concorde. Les relations entre les armées rwandaise et ougandaise remontent au début des années quatre-vingt, à l’époque où Yoweri Museveni prend les armes et fomente une rébellion contre le régime du docteur Milton Obote. Beaucoup de réfugiés rwandais tutsis, qui avaient fui leur pays lors des premiers massacres de 1959, entrent dans le mouvement de résistance. À l’image de Fred Rwigyema (ancien leader du Front patriotique rwandais, FPR) et de Paul Kagamé, qui, dès 1986, alors que Museveni arrive au pouvoir, occupent des postes de haut commandement dans l’armée ougandaise. Kampala apportera par la suite un soutien politique, militaire et logistique au FPR, jusqu’à la libération de Kigali en juillet 1994.
Si les deux armées mènent en 1996 une action commune pour renverser le maréchal Mobutu en RDC, les relations entre les états-majors commencent à se dégrader lors de la « seconde guerre » du Congo, initiée le 2 août 1998 par le Rwanda, qui sera suivi par l’Ouganda un mois plus tard. Ce dernier accuse immédiatement Kigali d’avoir mis sur pied le RCD sans l’avoir impliqué. En guise de réponse, l’Ouganda crée, en décembre de la même année, le Mouvement de libération du Congo (MLC), dirigé par Jean-Pierre Bemba. En signant ainsi la fin du monopole du RCD, l’Ouganda ouvre un nouveau front et provoque une guerre parallèle dans le nord-est du Congo. « L’entière responsabilité des violents massacres qui ont secoué l’Ituri ces dernières années revient à l’Ouganda, soutient Charles Murigande. Kampala n’a cessé de créer de nouvelles factions et de les entraîner. Et chaque fois qu’un mouvement rebelle ne lui fait pas allégeance, il crée une scission. »
Les premiers heurts violents entre les deux pays ont lieu en août 1999, à Kisangani, troisième ville de la RDC, riche en ressources minières et diamantifères. Chacun reproche alors à l’autre d’avoir attaqué le premier, soit pour affirmer sa domination stratégique, soit pour des raisons mercantiles. À trois reprises, en 1999 et en 2000, les troupes rwandaises prennent l’avantage. Pour beaucoup d’observateurs internationaux, Museveni, qui se considère comme le parrain de la région des Grands Lacs, n’a jamais digéré ces défaites. Depuis, les manoeuvres politiciennes ont pris le pas sur les combats frontaux. Kampala est devenu le refuge privilégié des déserteurs de l’Armée patriotique rwandaise (APR) et le passage obligé des hommes politiques fuyant Kigali. Parallèlement, les autorités ougandaises accusent Paul Kagamé d’avoir financé la campagne du colonel Besigye, le principal opposant de Museveni à l’élection présidentielle de mars 2001. Soupçonné de financer des camps d’entraînement pour opposants, le Rwanda est aujourd’hui officiellement qualifié d’ennemi, au même titre que le Soudan.
Alors qu’avec la conclusion du Dialogue intercongolais à Sun City, le 2 avril dernier, la RDC commence doucement à sortir de sa crise politique et militaire, les récents événements ne sont pas de très bon augure. Pour les autorités rwandaises, même si l’orage est passé, le problème fondamental n’est toujours pas réglé. Elles soutiennent que Kampala entretient des liens étroits avec l’armée congolaise et surtout avec les ex-Forces armées rwandaises (FAR) et les milices interahamwes, ces opposants hutus rescapés de l’armée de feu le président Habyarimana. Le Rwanda estime à un peu moins de cinquante mille leur nombre de l’autre côté de la frontière. D’après les accords de Pretoria, signés le 30 juillet 2002 entre les présidents Kagamé et Kabila, il revient au président congolais de désarmer et de démobiliser ces ex-FAR. Depuis, pour Kigali, rien ou presque n’a été fait, et les leaders sont toujours en place : « Kampala et Kinshasa continuent de financer ces forces négatives au su et au vu de tout le monde, s’insurge Murigande. Nous invitons la communauté internationale à enfin agir et à condamner cette attitude. Il y a certaines menaces que nous sommes prêts à subir, mais passé un certain seuil nous serons contraints d’intervenir. » Une prédiction qui sonne comme un rappel à l’ordre.

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