Choses promises, choses dues

D’ici à la fin mai, le pays devrait se doter d’une nouvelle Constitution pour tourner définitivement le dos au régime de Daniel arap Moi.

Publié le 19 mai 2003 Lecture : 3 minutes.

«C’est l’aboutissement du long combat mené par le peuple kényan. Un combat pour la justice et le droit, un combat pour l’équité et la bonne gouvernance, un combat pour réaffirmer notre destinée commune en tant que Kényans. » C’est en ces termes que le nouveau président du Kenya, Mwai Kibaki, accompagné de sa femme Lucy, a ouvert le 30 avril la Conférence sur la réforme de la Constitution. Prévu de longue date pour le 28 avril, le programme a été respecté à deux jours près. C’est dire l’empressement de la coalition arc-en-ciel (Narc), arrivée au pouvoir fin décembre 2002 malgré ses tiraillements internes, à mettre en oeuvre les promesses faites au cours de la campagne électorale aux 30 millions de Kényans. Cette célérité montre aussi la volonté d’un Mwai Kibaki décidé à rester dans l’Histoire comme l’artisan d’une remarquable avancée démocratique : selon toute vraisemblance, le processus devrait déboucher sur la création d’un poste de Premier ministre et sur l’abaissement à 70 ans de l’âge limite des candidats à la présidentielle. Deux mesures qui, à l’évidence, signeront le fin de la monarchie présidentielle et contraindront les marges de manoeuvre d’un Kibaki rattrapé par la limite d’âge. Peu importe, « la Constitution ne sera pas réformée pour un individu, un groupe ou une communauté. La Constitution est plus importante que nous tous. Elle est faite pour la postérité. »
Les débats, qui dureront tout le mois de mai, promettent néanmoins de houleuses controverses tant les intérêts individuels, partisans, ethniques, religieux, etc., risquent de se heurter, au sein de la coalition au pouvoir comme dans l’opposition (Kenyan National African Union, Kanu). Le Liberal Democratic Party (LDP), membre de la Narc, a déjà fait savoir qu’il entendait bien faire respecter l’accord électoral prévoyant l’attribution du futur poste de Premier ministre à l’actuel ministre des Travaux publics, Raila Odinga (voir « Profil »). Ce dernier prêche quotidiennement en faveur d’un modèle qu’il qualifie lui-même de « modèle à la française », dans lequel le Premier ministre issu du parti majoritaire au Parlement sera le véritable chef de l’exécutif, responsable du gouvernement et de la mise en oeuvre de sa politique. Accusé de faire du lobbying pour sa cause, Raila Odinga cogne à droite comme à gauche : « Je n’ai pas besoin de faire du lobbying pour obtenir le support des membres du parlement, parce que la Constitution est réécrite pour la postérité, pas pour Raila Odinga. » Ses adversaires, qu’ils soient de son camp ou de l’opposition, défendent plus volontiers un modèle « à la tanzanienne » où le Premier ministre est nommé par le Président élu, et responsable auprès de lui. C’est-à-dire un modèle où le président conserve la quasi-totalité de ses pouvoirs.
D’ici à la fin mai, les débats seront aussi dominés par la question de la répartition des pouvoirs entre le gouvernement et les autorités locales, ainsi que par la place à accorder aux tribunaux islamiques au sein même de la Loi fondamentale. Comme l’écrit Hervé Maupeu (Politique africaine n° 89, mars 2003) : « Des contre-pouvoirs doivent ainsi apparaître. La pratique dira s’ils serviront à moraliser le pouvoir ou à distribuer des prébendes. Le Parlement est censé redevenir une instance de contrôle. » Ce qui est loin d’avoir été le cas sous les présidences de Daniel arap Moi.
Si beaucoup reste à faire, Mwai Kibaki se veut toujours plus unbwogable (« inébranlable »). Il a demandé aux délégués de la Conférence « d’être guidés par les valeurs clés de la démocratie, la transparence, la responsabilité, l’intégrité et la participation », une « nouvelle culture pour laquelle le Kenya est aujourd’hui admiré, localement comme à l’étranger ». Sagesse d’un vieil animal politique en mauvaise santé ? Peut-être, mais Kibaki reste le ciment d’une majorité hétéroclite. Qui, le 30 avril, signait deux lois anticorruption, et rendait obligatoire aux élus – dont le président et les membres du Parlement – la déclaration de patrimoine… Une pratique peu répandue.

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