Blairisation de la diplomatie

Aucun Premier ministre, depuis Churchill, n’a autant court-circuité le Foreign Office que Tony Blair. Au point que certains ont baptisé le centre diplomatique « alternatif » du 10, Downing Street « Cosa Nostra ».

Publié le 19 mai 2003 Lecture : 4 minutes.

Clare Short, ex-ministre britannique du Développement, qui a démissionné le 12 mai, a porté un sérieux coup au Premier ministre Tony Blair. Elle a vivement critiqué son style personnel de gouvernement et son alliance avec le président américain George W. Bush à un moment où la politique de ce dernier au Moyen-Orient est de plus en plus contestée.

L’opinion publique britannique n’est plus mobilisée par la guerre. L’ivresse de la victoire en Irak s’est déjà dissipée, et les militaires doivent faire face aux dangereux problèmes de l’après-guerre sans les Nations unies. Les troupes américaines et britanniques ont du mal à faire régner l’ordre tout en rétablissant les services essentiels dans les villes. L’ayatollah chiite Mohamed Baqer el-Hakim, rentré d’Iran, invite les Américains à partir immédiatement. Les deux Américains qui devaient présider à la reconstruction, le général Jay Garner et Barbara Bodine, sont rappelés et remplacés. Et les kamikazes d’Arabie saoudite ont montré qu’el-Qaïda n’avait pas été détruite. Ce qui tend à prouver que les risques terroristes peuvent très bien avoir été accrus, et non pas diminués, par l’humiliation des Arabes en Irak.
Blair est aujourd’hui dans une position très vulnérable, car il est presque exclusivement responsable du soutien total apporté à Washington qui a conduit à la guerre, contre l’avis de nombreux diplomates et généraux britanniques. Il a pris personnellement en charge la politique étrangère britannique, et a noué des liens étroits avec le président Bush. Si cette politique échoue, il trouvera peu de personnes pour en partager la responsabilité.
Blair a plus court-circuité le Foreign Office que ne l’avait fait aucun Premier ministre depuis Churchill. Il a, plus que les précédents Premiers ministres, constitué son réseau diplomatique personnel, et poussé ses favoris. Du temps où le combatif Robin Cook était secrétaire du Foreign Office, Blair n’intervenait guère en politique étrangère, mais avec Jack Straw, il se sent beaucoup plus libre.
Il n’y a pas aujourd’hui, au 10, Downing Street, un conseiller de politique étrangère, mais deux : sir David Manning et sir Stephen Walls. L’ambassadeur à Paris, sir John Holmes, vient aussi de l’entourage immédiat de Blair, dont il était le premier secrétaire privé.

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L’envoyé spécial de Blair au Moyen-Orient est son ami Lord Levy, qui a des liens étroits avec Israël et qui est aussi le premier collecteur de fonds du Parti travailliste. Et début mai, il a choisi comme envoyé spécial en Irak John Sawers, qui était également son secrétaire privé avant d’être nommé ambassadeur au Caire.
Pour les diplomates britanniques, le meilleur moyen d’accéder au sommet n’est plus la promotion régulière dans la hiérarchie traditionnelle du Foreign Office. C’est d’attirer l’attention du Premier ministre et d’intégrer le centre diplomatique « alternatif » du 10, Downing Street, que les mauvaises langues du Foreign Office appellent « Cosa Nostra ».

Le diplomate britannique le plus important n’est plus aujourd’hui le patron du Foreign Office, le sous-secrétaire permanent sir Michael Jay, ancien ambassadeur à Paris, mais David Manning, qui sera l’ambassadeur de Grande-Bretagne à Washington en septembre.
Manning est un diplomate accompli qui a des contacts au plus haut niveau à l’étranger. Il a beaucoup voyagé avec le Premier ministre. Il est un ami de Condoleezza Rice, la conseillère de Bush pour la sécurité nationale, à qui il téléphone fréquemment. Mais le fait que Manning reste à Londres au lieu de rejoindre Washington donne à penser que Blair fait passer ses propres services avant la plus importante des ambassades britanniques.
L’expansion de la « Cosa Nostra » de Blair mécontente les diplomates qui ne font pas partie du premier cercle, en particulier les ambassadeurs au Moyen-Orient. Ils ont l’impression que leur gouvernement n’a pas tenu compte des mises en garde qu’ils ont lancées au sujet de l’après-guerre en Irak. Mais aussi les ambassadeurs en Europe, qui considèrent que Blair a mal jugé la volonté des Européens de participer à la guerre.
Ces mises en garde reprennent aujourd’hui de l’importance, car l’Irak connaît une dangereuse anarchie. Les armes de destruction massive n’ont toujours pas été trouvées, et la légitimité de la guerre est remise en question. Clara Short, après sa démission, a contesté les conseils juridiques donnés au gouvernement britannique, et affirmé que Blair avait secrètement manoeuvré pour empêcher l’ONU de participer à la formation d’un gouvernement irakien légitime.
La politique étrangère de la Grande-Bretagne, ces derniers mois, y compris la rupture avec le président Jacques Chirac et l’alliance avec José María Aznar et Silvio Berlusconi, a été mise en oeuvre par un petit groupe de diplomates dévoués à Blair.

Les assurances que celui-ci a données avant la guerre – sur les dangers des armes de destruction massive, le rôle futur des Nations unies et la nécessité de relancer le processus de paix entre les Israéliens et les Palestiniens – ont toutes été des assurances très personnelles, fondées sur la confiance qu’il avait en Bush et ses collègues.
Si ces assurances se révèlent fallacieuses, Blair ne pourra pas en rejeter la responsabilité sur les diplomates du Foreign Office, qu’il n’a pas consultés, ou sur les autres membres du cabinet, qui les ont acceptées de bonne foi. Et il y a beaucoup de diplomates et de politiques qui aimeraient bien faire partie de la Cosa Nostra de Blair.
Après sa démission, Clare Short disait que Blair était trop occupé par la place qu’il aurait dans l’Histoire. Mais cette place ne sera peut-être pas celle qu’il espérait, maintenant qu’on voit où mène sa politique étrangère personnelle.

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