Avis de tempête

Crise économique gravissime, contestation sociale, mobilisation de l’opposition pour la démocratisation du régime… Comme toujours, Hosni Moubarak affecte la sérénité.

Publié le 19 mai 2003 Lecture : 3 minutes.

L’Égypte est au bord de la banqueroute. La crise économique dure depuis quatre ou cinq ans et n’épargne aucune couche sociale. Rien n’indique que le gouvernement du Premier ministre Atef Abid soit en mesure de redresser la barre. Depuis 2000, la livre égyptienne, la monnaie nationale, a perdu près de 40 % de sa valeur, ce qui contribue à aggraver l’inflation. Les prix des produits importés, mais aussi de biens de consommation locaux comme le riz, l’huile ou le beurre s’envolent (+ 40 % en moins d’un an). Les caisses de nombreuses entreprises, publiques et privées, sont (presque) vides et de nombreux employeurs sont incapables de verser régulièrement les salaires et de payer leurs fournisseurs. D’autres licencient à tour de bras. Pis : les indicateurs économiques ne manifestent aucun signe d’amélioration.
Quatre facteurs principaux sont à l’origine de cette récession : le manque d’investissements étrangers, l’aggravation des dépenses publiques, la faiblesse des exportations et la chute des recettes touristiques depuis les attentats de Louxor, en 1997, et les événements du 11 septembre 2001. Encouragé par les bailleurs de fonds internationaux à mettre en oeuvre des réformes économiques structurelles, notamment une politique monétaire transparente, le gouvernement est tiraillé entre les exigences d’une libéralisation qu’il ne peut plus retarder et des mécanismes de protection sociale hérités de l’époque nassérienne. Son déficit budgétaire, de l’ordre de 5 milliards de dollars, provient d’ailleurs essentiellement du montant exorbitant des charges sociales et de la masse salariale de la fonction publique.
Conséquence : le mécontentement populaire a atteint la cote d’alerte. Il est encore renforcé par une conjoncture mondiale et régionale particulièrement mouvementée. Les grèves et les manifestations se multiplient. Toujours prompts à tirer profit des difficultés du pouvoir, les groupes islamistes, notamment les Frères musulmans, officiellement interdits mais officieusement tolérés, reprennent du poil de la bête.
Le président Hosni Moubarak continue cependant d’afficher une imperturbable sérénité. Il est vrai qu’il n’a pas son pareil pour louvoyer entre les écueils : c’est un expert de la navigation à vue. Au pouvoir depuis 1981 (il avait alors succédé à Anouar el-Sadate, assassiné par un activiste islamiste), le raïs, aujourd’hui âgé de 75 ans, a été lui-même la cible de plusieurs attentats. Mais il ne semble pas prêt à passer la main, refusant – superstition ou calcul politique ? – de nommer un vice-président appelé à le remplacer en cas de vacance du pouvoir. Certains lui prêtent l’intention de solliciter un nouveau mandat présidentiel, en 2006. Où, à défaut, d’introniser son fils Gamal (40 ans). Le 17 septembre dernier, celui-ci a en effet été bombardé secrétaire du Parti national démocratique (PND, au pouvoir), « chargé de l’orientation politique interne » (sic).
Au moment où l’administration américaine rêve, à partir de l’Irak post-Saddam Hussein, de démocratiser le monde arabe, le président égyptien sait que sa marge de manoeuvre est étroite. À preuve : dans une déclaration commune, tous les mouvements d’opposition, à l’exception des Frères musulmans (interdits), ont, la semaine dernière, dénoncé « la confiscation des libertés publiques et des droits élémentaires de l’homme » et estimé que « l’élection au suffrage universel du président de la République et la réduction de ses prérogatives sont un outil indispensable sur la voie de la démocratisation ». La mise en place de ces réformes devrait, selon eux, intervenir « avant même la fin du mandat présidentiel actuel ». Les signataires appellent par ailleurs à la levée de l’état d’urgence en vigueur depuis 1981 et à la reconnaissance du droit de grève. « L’absence de la démocratie en Irak a servi de prétexte aux Américains pour envahir ce pays », estiment-ils. À l’évidence, il s’agissait d’une mise en garde indirecte adressée à Moubarak.
Les leaders de l’opposition, qui ont annoncé leur intention d’organiser, au cours des semaines à venir, une série de manifestations populaires dans les provinces, ont choisi de rendre publique leur déclaration commune la veille de la visite au Caire du secrétaire d’État américain Colin Powell, dans le cadre de sa tournée au Proche-Orient. Curieuse coïncidence, tout de même…

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires