Vous avez dit génocide ?

Le rôle de la France au Rwanda passé au crible.

Publié le 19 avril 2004 Lecture : 2 minutes.

Il est certaines circonstances où le pluriel donné à un mot ne doit rien au hasard. Il peut s’employer pour détourner l’attention de l’essentiel, atténuer un phénomène, bref, essayer de noyer le poisson. Autant d’effets sans doute recherchés en 2003 par Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères, quand il évoque lors d’une interview (RFI, 1er septembre 2003) les « terribles génocides » à propos des événements de 1994. Une phrase rapportée par le journaliste Patrick de Saint-Exupéry dans sa remarquable enquête sur le rôle de la France au Rwanda. Un pluriel de raison d’État. Fortement teinté de révisionnisme. Un pluriel qui blesse.
Car si personne ne peut nier les dizaines de milliers de morts hutus issus de la guerre du Rwanda, il n’y a pas eu là de volonté orchestrée de « tuer une espèce ». On ne peut donc résolument pas associer ces crimes, aussi inacceptables soient-ils, à un génocide de plus. Ce serait ne pas reconnaître que le million de Tutsis tués a subi l’exécution d’un programme d’extermination d’un groupe humain par un État souverain. La définition même du génocide. Ce serait relativiser d’un coup les deux premiers génocides arménien et juif du dernier siècle. Ce serait ne pas se plier à la Convention internationale adoptée par les Nations unies en 1948 présentant le génocide comme un acte « commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».
À l’époque, il a fallu attendre presque la mi-mai 1994 pour que l’opinion internationale, nourrie jusqu’ici par les médias de « massacres interethniques » et autres « luttes tribales », découvre la vérité du mot génocide prononcé pour la première fois par le commissaire de l’ONU aux droits de l’homme dépêché sur place. Mais cela n’empêchera pas la banalisation de continuer à produire ses effets. La palme du cynisme, toutes catégories confondues, revenant ici à l’ancien président François Mitterrand qui, encore à l’été 1994, déclarait à ses proches : « Dans ces pays-là, un génocide, c’est pas trop important » (Le Figaro, 12 janvier 1998). Au final, derrière ces jeux de vocabulaire, se cache bien entendu une triste Realpolitik. La France gesticulera tant qu’elle peut pour masquer sa lourde responsabilité dans les événements d’il y a dix ans.

L’Inavouable. La France au Rwanda, de Patrick de Saint-Exupéry, les Arènes, 204 pp., 19,90 euros.

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