Stabilisation ou ingérence ?

Attachée à une liberté acquise de haute lutte, la population assimile la présence du corps expéditionnaire international à une occupation. Et le lui fait savoir.

Publié le 19 avril 2004 Lecture : 3 minutes.

Circulez ! Il n’y a rien à voir. La communauté internationale « veille » sur Haïti. Déployés dans ce tiers d’île caraïbe pour une mission de « stabilisation », après le départ précipité en exil du président Jean-Bertrand Aristide, le 29 février dernier, quelque 3 600 soldats et policiers américains, français, canadiens et chiliens patrouillent dans les rues, gardent les bâtiments officiels, installent des canalisations, réhabilitent des infirmeries et assurent le ramassage des ordures, parfois sous les huées (et les jets de pierres) d’une population de plus en plus opposée à ce qu’elle considère comme une occupation. Avec un mandat imprécis d’une durée de quatre-vingt-dix jours, cette force multinationale, composée pour moitié de soldats américains, attend avec impatience de céder la place à un contingent onusien, annoncé pour le dernier trimestre de 2004 et qui sera dirigé par le Brésil, avec la participation de plusieurs autres pays latino-américains.
On est loin, très loin, de l’accueil triomphal réservé, il y a dix ans, aux vingt mille marines qui avaient investi Haïti en octobre 1994 à la demande expresse du président Bill Clinton et du Black Caucus, et réinstallé dans son fauteuil Aristide, ex-partisan de la Théologie de la libération, élu démocratiquement en 1990 et renversé par une junte l’année suivante. Beaucoup de Haïtiens, attachés à une liberté acquise de haute lutte le 1er janvier 1804 face aux troupes napoléoniennes, assimilent la présence du corps expéditionnaire international à l’occupation de leur pays par les Américains de 1915 à 1934. Notamment parce que le gouvernement du Premier ministre de « transition » Gérard Latortue, formé après le départ en exil d’Aristide, n’a aucune prise sur la réalité, les véritables décideurs étant installés à Paris, à Ottawa et, surtout, à Washington.
En pleine campagne électorale américaine, la crise haïtienne est un boulet supplémentaire pour George W. Bush, en butte à une insurrection généralisée en Irak. Au cours d’une brève visite d’une journée à Port-au-Prince, début avril, le secrétaire d’État américain Colin Powell a certes confirmé le soutien de son pays au « redressement » économique, politique et institutionnel de Haïti, mais il s’est gardé de prendre des engagements précis. Dans l’immédiat, Washington ne compte guère dépenser pour ce pays situé à moins de deux heures des côtes de la Floride plus de 55 millions de dollars. À titre de comparaison, après la restauration d’Aristide en 1994, l’administration Clinton avait investi la bagatelle de 235 milliards de dollars en Haïti.
Si Port-au-Prince, la capitale, est désormais « sécurisée », certaines villes de province, encore aux mains de gangs rivaux et de groupes rebelles dirigés par des criminels notoires, connaissent des flambées sporadiques de violence. La colère populaire gronde d’autant plus que, de son exil jamaïcain, Aristide continue d’alimenter la polémique sur les conditions de son départ. Et que ses tombeurs, pour la plupart des repris de justice armés par les services américains et qualifiés par le Premier ministre Latortue de « combattants de la liberté », multiplient les opérations de représailles et les enlèvements d’anciens dirigeants. Au grand dam d’Amnesty International, dont une délégation a séjourné début avril à Port-au-Prince. « En arrêtant uniquement les partisans de Lavalas [le parti d’Aristide], le gouvernement envoie un mauvais message à la communauté internationale », a souligné la responsable de la délégation, Yvonne Terlingen.
Si les observateurs s’accordent à dire que seul un désarmement d’envergure peut empêcher Haïti de renouer avec ses vieux démons, l’argent pour engager une telle opération fait défaut. Aucun programme d’incitation n’est prévu pour amener les milices à désarmer. Pourtant, le Premier ministre annonce un scrutin présidentiel pour la fin de 2005 et l’investiture d’un nouveau chef de l’État pour février 2006. Si tout va bien.

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