Sept femmes au Parlement

Grâce aux quotas, elles font une entrée remarquée en politique dans l’un des pays les plus conservateurs du continent africain.

Publié le 19 avril 2004 Lecture : 5 minutes.

Dans un pays où se pratique l’excision à grande échelle, et même l’infibulation, la condition de la femme n’est paradoxalement pas la plus déplorable comparée à celle d’autres pays arabes ou africains. Magistrate, députée, ministre, elle peut divorcer et son avis est requis si son époux envisage de devenir bigame ou polygame. Depuis l’indépendance, en 1977, elle jouit du droit de vote, mais a dû attendre 2001 pour faire son entrée dans les institutions élues. Depuis cette date, le gouvernement compte un ministre de sexe féminin, la Cour suprême est dirigée par une présidente, 52 % des greffiers sont des femmes, le nouveau code électoral impose un quota de 10 % de présence des femmes au Parlement. Pourtant, toutes ces avancées démocratiques ne sont pas le produit d’un combat mené par les femmes. « Ces nouveaux droits nous ont été offerts sur un plateau d’argent, analyse Souad Idriss, directrice générale de la Société nationale des hydrocarbures. L’histoire récente de Djibouti n’a connu aucune organisation militante féministe. » Pourquoi tant de sollicitude de la part du pouvoir politique ? « Le succès d’une élection, note Aïcha Dabar, documentaliste à l’Assemblée nationale, dépend de la mobilisation des électrices. La femme est généralement plus citoyenne que l’homme. Elle a été trop longtemps privée de son droit de vote, contrairement aux hommes, pour refuser de l’exercer. » La démarche du président Ismaïl Omar Guelleh, qui a « tout donné aux femmes » selon Souad, obéit-elle à un simple calcul politique ? Une façon de garantir sa réélection en 2005 ? Rien n’est moins sûr.
La société djiboutienne, tribale et patriarcale, est l’une des plus conservatrices d’Afrique et du monde arabe. Quand, en septembre 2002, la loi a introduit la notion de quota de femmes au Parlement, cela ne s’est pas fait sans heurts. « Pourquoi pas un quota pour les chauves ! » s’était alors exclamé l’opposant Ahmed Dini pour marquer son opposition à l’introduction de la nouvelle loi. Autre casse-tête, la composition des listes pour un scrutin proportionnel. Comment les établir tout en garantissant la présence de femmes parmi les élus ? Quels candidats accepteraient de figurer sur ces listes derrière des femmes qui n’ont pas plus de mérite ni de poids politique qu’eux ? Deux coalitions se sont affrontées en décembre 2002. L’Union de la majorité présidentielle (UMP, composée de quatre partis) et l’Union pour une alternance démocratique (UAD, trois partis d’opposition). Au-delà des difficultés, les deux listes ont pu être constituées. L’UMP a alors raflé la totalité des sièges.
En janvier 2003, quand pour la première fois de l’histoire sept femmes ont fait leur entrée au Parlement djiboutien, Aïcha Dabar, la documentaliste de l’Assemblée, en a été particulièrement émue : « Certes la présence féminine était la conséquence d’une loi décrétée par un homme, souligne-t-elle. Mais nous devons rester mobilisées pour que notre participation soit plus conséquente au plan qualitatif. » Autrement dit, le choix des candidates ne s’est pas fait sur des critères de compétence, mais de représentation des différentes communautés ethniques. « C’est également le cas pour les hommes, qui ne sont pas choisis que pour leurs compétences, précise Souad. La configuration sociologique a son importance, mais tout cela est appelé à changer avec l’évolution des mentalités et de la pratique démocratique. »
L’introduction de quotas dans la vie politique n’a pas mis fin aux disparités entre les sexes. Si les femmes constituent 52 % de la population, la moitié d’entre elles est analphabète alors que, chez les hommes, le taux d’illettrisme tourne autour de 26 %. S’il n’y a pas de disparités salariales dans la fonction publique – l’État est le premier employeur -, le chômage touche deux femmes sur trois contre moins d’un homme sur deux. Au plan de la santé, le taux de mortalité des femmes qui accouchent atteint 7,4 %. Quant à la scolarité, si les filles sont plus nombreuses que les garçons à l’école primaire (73 % contre 61 %), elles le sont moins dans le cycle secondaire (23 % contre 32 %). « À Djibouti-ville, affirme Souad, la situation est moins catastrophique que dans les provinces, où les mentalités n’ont pas évolué, où les parents hésitent encore à envoyer leurs filles à l’école, où une femme qui travaille est mal vue et où la gent féminine est en charge des travaux les plus durs, notamment d’aller chercher de l’eau à la source, distante parfois de plusieurs kilomètres de la maison familiale. » Cela ne signifie pas pour autant que l’initiative féminine soit concentrée dans la seule capitale. Les femmes chefs d’entreprise les plus connues, comme Mako Farah, qui dirige le complexe touristique du Lagon bleu, sur l’île Moucha, au large de Djibouti, ou Naama Idleh, qui vient de réaliser un parc d’attractions, véritable Disneyland, sont certes basées dans la capitale. Mais en province, les femmes ne sont pas en reste : elles s’investissent dans les activités commerciales, les oeuvres sociales, ou encore, la promotion de l’artisanat comme Hasna Hassantou, présidente de l’Association des femmes de Tadjourah. La majorité oeuvre dans l’économie informelle. Elles vendent du qat (drogue locale), tiennent des restaurants à ciel ouvert aux abords des chantiers et des casernes. Bref, le système D.
Au plan juridique, même si le droit djiboutien s’inspire de la charia en matière de statut personnel, le cadre juridique a récemment connu des avancées en matière d’affaires civiles (notamment l’amélioration des droits des femmes sur le divorce et la polygamie). « Cela a fait beaucoup moins de bruit que la Moudawana au Maroc, note Souad. Le texte n’en est pas moins révolutionnaire. »
En l’occurrence, cette avancée n’est pas, elle non plus, le produit d’une mobilisation ou d’une action féministe, mais un autre « cadeau » du président Guelleh. « La Djiboutienne n’est pas encore arrivée au stade de la lutte pour l’égalité, affirme Abir, étudiante au pôle universitaire de Djibouti. L’excision et l’infibulation sont entretenues par les femmes elles-mêmes. Certains hommes ne se doutent même pas de l’existence de ces pratiques. »
C’est pourquoi la situation de la Djiboutienne en est au stade de la sensibilisation, une opération menée par un formidable réseau d’associations dans les quartiers et dans les districts de l’intérieur. Quand la femme prendra conscience de ses forces et de ses faiblesses, elle sera alors l’avenir de Djibouti.

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