[Tribune] Coronavirus : la Tunisie ne peut pas s’offrir le luxe du confinement
En Tunisie, le confinement total risque de plonger la classe populaire et rurale dans la pauvreté. Alors qu’une autre stratégie, fondée sur le confinement des personnes à risque et un dépistage massif, a déjà fait ses preuves…
• Amine Snoussi est essayiste, auteur de « La politique des Idées » (Centre national du livre), et militant pour la justice sociale et écologique.
• Nessim Ben Gharbia est journaliste.
La Tunisie subit, depuis près de deux semaines maintenant, un confinement total. Une décision prise pour contrer la propagation du coronavirus. Or, des doutes subsistent sur l’efficacité de ces mesures dans plusieurs pays qui y ont recouru. En réalité, on observe une inversion spectaculaire des courbes dans les pays où les gouvernements ont proposé une autre méthode, qui repose sur deux principales mesures :
• Un confinement des seniors et des personnes à risque (maladies cardiovasculaires et/ou pulmonaires, immunité fragile, etc.)
• Un dépistage massif et aléatoire, en privilégiant les tests peu coûteux, afin d’anticiper et d’éviter toute contagion.
Ces deux dispositifs nous permettraient de reprendre une activité humaine et économique, et ainsi de protéger la classe populaire et rurale d’une insuffisance alimentaire que peut (et va) provoquer un confinement total. Il faut cependant les compléter par d’autres mesures locales et/ou partielles, comme l’annulation des manifestations culturelles, sportives et de tout rassemblement de plus de 50 personnes, afin d’éviter de potentielles contaminations à grande échelle.
Immunisation collective des citoyens
Ces mesures entrent dans une stratégie de confinement stratégique des personnes à risque, d’isolement des malades mais surtout de développement de l’immunisation collective des citoyens. Le confinement total est un pansement qui ne mènera à une guérison qu’en cas d’apparition rapide d’un vaccin.
Le modèle qu’a choisi la Tunisie ne permet pas de répondre à la crise. Bien au contraire, il la crée. Le lundi 30 mars, des manifestations ont éclaté à El-Mnihla : des citoyens, que le confinement total a privés de rémunération journalière, ont exprimé leur colère d’une manière que l’on n’avait pas observée depuis longtemps. Depuis un certain mois de janvier 2011.
La Tunisie confinée, c’est tout simplement une classe populaire abandonnée à son sort
Dans tous les quartiers populaires du pays, des milliers de citoyens font la queue pendant des heures devant les locaux de l’administration locale afin d’obtenir les aides sociales promises par le chef du gouvernement, Elyes Fakhfakh, un jour après l’annonce du confinement total.
Mais bien plus grave encore, ce confinement ne peut être fonctionnel que s’il est appliqué sur la durée. Les pays qui avaient d’abord opté pour la stratégie de l’immunité collective et qui se sont finalement tournés vers le confinement sous la pression de l’opinion publique ont les moyens et les réserves pour nourrir leur population pendant une longue période.
280 000 familles en extrême nécessité
La déclaration du ministre tunisien de la Santé, Abdellatif Mekk, évoquant un confinement « qui peut s’étendre jusqu’à la fin de l’année », est irresponsable mais surtout fantasque. Dans les pays en développement, le confinement est un luxe que peuvent se permettre uniquement certaines couches sociales favorisées.
La Tunisie confinée, c’est 280 000 familles en extrême nécessité qui sont abandonnées à leur sort.
La Tunisie confinée, selon l’étude présentée par l’Institut tunisien des études stratégiques (ITES), et réalisée par la Banque mondiale, ce sont les 41,5 % de la population dépendante de l’économie parallèle en Tunisie qui est laissée à l’abandon.
La Tunisie confinée, c’est tout simplement une classe populaire abandonnée à son sort, à qui l’on dit de mourir pour éviter la mort.
Opter pour un dépistage massif
Les modèles coréen et taiwanais nous démontrent qu’on peut obtenir des résultats plus que positifs sans confinement total. Il faut opter pour un dépistage massif et, surtout, une surveillance accrue des personnes à risque, tout en travaillant avec les opérateurs privés afin de collecter pour une période déterminée, et sous contrôle de l’instance de protection des données personnelles, les informations sur le déplacement récent des cas confirmés.
L’idée n’est pas de minimiser la dangerosité du virus, mais de proposer une autre stratégie
Neil Ferguson, épidémiologiste médaillé de l’ordre de l’Empire britannique, déclare que si l’on ne s’immunise pas face au virus, on obtiendra assurément une deuxième vague juste après le confinement. Or, sans vaccin, nous nous retrouverons face à une crise sanitaire similaire mais en ayant déjà engendré et subi les pertes et les déséquilibres d’une première. Nous ne serons donc pas en manque de moyens, nous n’aurons plus de moyens.
L’idée n’est pas de minimiser la dangerosité du virus, mais de proposer une autre stratégie qui peut nous sortir de cette crise sans répandre la faim.
Nous ne pouvons pas affamer nos citoyens pour répondre à une crise sanitaire. Nous devons les laisser travailler, en protégeant leurs lieux de travail.
Nous ne pouvons pas apporter une réponse publique dysfonctionnelle quand nous avons des alternatives crédibles et fonctionnelles.
Et surtout, nous ne pouvons pas nous porter collectivement responsables d’une nouvelle crise sociale car nous avons refusé la raison au profit de la peur.
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