René Depestre

Écrivain d’origine haïtienne

Publié le 19 avril 2004 Lecture : 3 minutes.

Haïti à nouveau plongé dans la violence et la confusion politique. Ce qui désole l’écrivain René Depestre, natif de la ville de Jacmel. « Deux siècles après notre indépendance, nous n’avons pas pris notre envol, constate celui qui mena la fronde politique estudiantine en 1946. Beaucoup d’artistes haïtiens réussissent très bien dans la diaspora, et cette forme d’existence pourrait être une passerelle vers les libertés civiles pour combler le vide de notre histoire politique. »
Le colosse littéraire, confortablement installé dans les moelleux fauteuils du siège parisien de la Francophonie, est pourtant peu enclin à parler politique. Malgré un passé d’agitateur public international – il fut expulsé de Port- au-Prince en 1946, puis de Prague, de Paris et de Cuba en moins de six ans -, l’homme à la chevelure léonine se préoccupe surtout de littérature.

Retiré dans l’Aude, département du sud de la France, au milieu des champs de vignes, l’ancien nomade se lève tous les jours à cinq heures et travaille toute la matinée à son grand-oeuvre : une autobiographie en trois tomes. « Ces derniers livres, dit-il avec gravité, je n’ai pas le droit de ne pas les réussir. » Pressé par le temps – « Il faut que je me dépêche de terminer avant de mourir. J’ai tout de même 78 ans » -, Depestre orchestre jour après jour ses souvenirs. « Je n’ai plus qu’à découper des massifs, à tailler ce qui deviendra mon livre dans le vaste chantier de mes notes. »
Au rythme de deux ou trois pages par jour, debout devant son pupitre, il sculpte dans la matière des mots ses futurs Mémoires. « Je bouge, je marche, je reviens à mon pupitre, car mes idées fonctionnent bien de cette manière. J’arrête d’écrire quand je sens qu’il reste encore un peu d’eau dans le puits. » Après, un jogging dans la pinède, parcourant la campagne au pas de course à l’âge où d’autres ronronnent dans leur fauteuil. « C’est une expérience spirituelle : j’apprends à mon corps à saluer l’esprit. Je me refais une sorte de pureté avant de reprendre mon travail. Je prépare mon puits pour le lendemain. » L’hyperactif s’octroie tout de même, « en bon Antillais », une sieste réparatrice avant d’entamer ses lectures quotidiennes. La presse, puis l’un des dix mille ouvrages de sa bibliothèque.
Le premier manuscrit que son éditeur recevra concernera Haïti et l’enfance que l’écrivain y a passée. Titre prévu : La Troisième Rive. Au coeur de ce roman, sa grand-mère maternelle, qui l’a élevé quand il a perdu son père, à 10 ans, et la rivière qui traversait son village. Le second texte retracera sa vie cubaine et s’intitulera Cuba : service après-naufrage. Ce livre sera « le récit du naufrage de la révolution cubaine, qui ne fut qu’une composante du naufrage général du communisme dans le monde, et celui de mon naufrage personnel. »

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René Depestre racontera ce jour de 1971 où il s’érigea contre les méthodes du régime castriste à l’occasion d’une séance d’humiliation publique infligée au poète Padilla. « J’ai claqué la porte chaque fois que l’on voulait m’imposer de nouvelles contraintes, et j’ai fini par me retrouver dans mon hamac », dit aujourd’hui avec sérénité celui qui a attendu plus de sept ans avant de pouvoir fuir en Europe. Cette troisième vie, faite de voyages et de rencontres, fera l’objet d’un troisième roman, Un nomade au XXe siècle. Il y racontera son histoire d’amour avec la France, tissée à la Sorbonne, puis à l’Unesco. Cette terre est celle qui lui a rendu une nationalité. « J’ai été adopté par les habitants. Personne ne peut plus m’enlever cette identité francophone. » La joie de l’enracinement enfin retrouvée.

Mais ne lui parlez pas d’exil. « Je ne comprends pas la notion d’exil avec son dolorisme, cette tristesse indéfinissable faite de plaisir et de mélancolie mélangés. Je suis citoyen de la terre patrie. » Amant de la vie, insensible aux théories religieuses du salut, l’hédoniste ne reconnaît de sacré que dans la rencontre amoureuse. « Je fuis ces croyances étranges inventées par les hommes, et je déplace le sacré sur la relation qui s’instaure entre un homme et une femme. » Ses prochaines oeuvres nous parleront de « cette vie que l’on croit maîtriser et qui nous échappe jusqu’à la mort ». Et des femmes, bien sûr.

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