Quand les méchants s’appellent FMI et OMC…

Life and Debt, de Stéphanie BlackPas assez de volume ! de Vincent Glenn

Publié le 19 avril 2004 Lecture : 3 minutes.

Si vous avez l’intention de passer des vacances à la Jamaïque, n’allez surtout pas voir Life and Debt. Vous n’auriez plus envie de partir. Car ce film de la documentariste américaine Stéphanie Black, d’abord, se moque férocement de tous ces touristes qui envahissent les superbes paysages des Caraïbes pour « bronzer idiot » sans jamais s’intéresser au sort des habitants du lieu. Ensuite, et c’est encore plus démoralisant, il s’évertue à montrer plein écran ce que même le plus curieux des touristes aurait du mal à voir sans se livrer à une véritable et improbable enquête : après un peu moins d’un demi-siècle d’indépendance, l’île natale de Bob Marley est aujourd’hui dans une situation économique et sociale dramatique.
D’un côté le sable et les hôtels 4 étoiles, de l’autre les usines des zones franches, créées sur le conseil des organisations internationales pour attirer les multinationales souhaitant fabriquer des produits à vil prix au mépris de toute protection sociale et qui, nous dit-on, ont fait réapparaître « en toute légalité les conditions d’un esclavage moderne ». Cette opposition de deux mondes, celui des touristes insouciants et celui des Jamaïcains qui s’enfoncent de plus en plus dans une misère noire, sert dans ce film de cadre à une démonstration sur la responsabilité des entreprises et des organismes internationaux, et plus particulièrement du FMI, dans cette descente aux enfers d’un « paradis » tropical.
Les deux « héros » du film sont d’ailleurs l’ancien Premier ministre jamaïcain Michael Manley, au pouvoir pendant l’essentiel des années 1970, qui a dû en grande partie sa popularité à ses positions anti-FMI, et le numéro deux de ce même FMI, l’Américain Stanley Fisher, qui défend la politique suivie par le « gendarme financier » de Washington. L’un qui explique comment un pays, dès qu’il se trouve endetté, rentre dans un cercle vicieux dont il ne sortira plus : toutes les décisions essentielles en matière d’économie, désormais, seront prises avant tout, à la demande du FMI, en fonction du remboursement de la dette. L’autre, bien sûr, dans le rôle du « méchant », qui rappelle avec bon sens, mais sans états d’âme, que les prêts sont faits pour être remboursés et que cet impératif a pour mérite d’obliger les gouvernants à pratiquer une bonne gestion des deniers publics. Un raisonnement très pragmatique qui, évidemment, ne saurait satisfaire la réalisatrice : celle-ci avoue, dans le dossier de presse accompagnant son film, qu’avant de se pencher sur la question de la dette des pays en développement, elle pensait « naïvement que le FMI, c’était comme la Croix-Rouge », autrement dit un pur organisme d’aide.
Pas assez de volume ! du réalisateur français Vincent Glenn, se penche pour sa part sur les effets pervers de la mondialisation à partir d’une longue enquête, à base d’interviews, sur la genèse, les objectifs et les activités effectives de cette Organisation mondiale du commerce (OMC) si controversée depuis sa création en 1995. Le combat que mène ici le réalisateur est à peu près le même que celui de Stéphanie Black. Comme l’indique son titre, aussi peu poétique que celui du film précédent, qu’il faut comprendre en le plaçant dans la bouche d’un banquier recevant un responsable de PME (« Vous ne faites pas assez de volume, vous n’aurez donc pas de soutien de votre banque »), il s’agit à nouveau d’une charge contre les méfaits du néolibéralisme. Une nouvelle démonstration, à travers les questions que se pose un « candide » parti interroger les spécialistes du sujet, des dangers que courent les pays les plus faibles quand ils acceptent de suivre les règles édictées par un organisme international créé par les pays riches, théoriquement pour le plus grand profit de tous, mais en pratique surtout dans l’intérêt des plus puissants.
Comment se fait-il que ces deux longs-métrages, plutôt habilement réalisés, nous laissent finalement très perplexes ? Les films, à la différence des livres, ne permettent guère de traiter sérieusement les sujets complexes. Même quand le cinéaste, ce qui est le cas en particulier de Vincent Glenn, fait des efforts pour éviter toute langue de bois, il ne peut facilement éviter à son oeuvre, surtout s’il est lui-même le militant d’une cause, les travers du film de propagande.
Les images, qui convoquent plus l’émotion que la faculté d’analyse, peuvent être efficaces pour mobiliser des convaincus ou ceux qui ne demandent qu’à l’être. Elles ne sont peut-être pas le meilleur véhicule pour faire réfléchir ceux qui ne se contentent pas d’adopter une telle posture. Voilà d’ailleurs pourquoi, paradoxalement, les films de fiction sont souvent plus satisfaisants que les documentaires pour traiter des questions « sérieuses ». Et pourquoi les documentaires les plus attachants sont ceux qui n’attaquent jamais frontalement leur sujet.

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