Poète des sables

Chehem Watta, l’enfant du désert, parle, avec les mots du nomade, de sa terre natale, de sa jeunesse, de l’exil et de son parcours d’écrivain.

Publié le 19 avril 2004 Lecture : 3 minutes.

Chehem Watta est plus qu’un poète, c’est un enfant de nomades, un fils de pasteurs. Il a vu le jour en 1962 dans les ergs de la Corne de l’Afrique, balayés par les vents et noyés de soleil, et il y a très tôt appris l’art du mot. Le mot prononcé, sans autre musique que la sienne, celui qui peuple l’étendue du désert et habite le silence. Son rythme épouse la cadence du pas des hommes et des animaux, il a bercé Chehem depuis sa plus tendre enfance.
Comme toute sa parentèle, habitante du désert djiboutien depuis des générations, il aurait dû poursuivre sa vie dans une inlassable recherche de l’herbe et de l’eau, indispensables à la vie du troupeau et de ses gardiens. Mais sa mère, mue par un curieux sentiment du destin, décide d’inscrire cet enfant à l’école. Elle l’envoie à Tadjourah, de l’autre côté du golfe, face à Djibouti la capitale, où le père, outré de cette brusque indépendance d’esprit, le récupère prestement.
Dans son premier recueil de poésies publié en France, Pèlerin d’errance, Chehem Watta parle de la souffrance de cette époque, de sa quête de liberté et de soi-même. Le goût du savoir a laissé sur lui une empreinte indélébile qui le fait persévérer dans son désir d’apprendre. Sur les dix-sept personnes qui composent sa famille proche, il sera le seul à être scolarisé. Dès la fin de ses études secondaires, une fois encore son père veut lui faire quitter « l’école des Blancs ». Afin de se libérer de cette emprise, le jeune Chehem ment sur sa date de naissance pour faire croire qu’il a atteint sa majorité, s’arrange pour avoir un passeport et part pour la France.
S’opère alors une vraie déchirure entre l’enfant, qui regrette les grands espaces où le mot frontière n’a pas de sens, et le passionné de culture et d’études, le citadin à l’horizon bétonné. Pèlerin d’errance raconte le pays perdu et regretté. On y voit passer des caravanes, lentes et majestueuses. Elles ne laissent derrière elles qu’un sillage de poussière en disparaissant sur les contreforts de l’Éthiopie, et les yeux du lecteur s’embuent à les voir partir sans pouvoir les suivre.
Si cet ouvrage est une ode à la marche et aux cailloux, Sur les soleils de Houroud est un hommage au corps et au végétal. Houroud est une poudre végétale utilisée par les femmes pour adoucir et embellir la peau du visage. Ainsi fardées, elles brillent d’une lumière solaire qui ne pouvait manquer de captiver, de séduire, d’enflammer le poète. Chehem Watta passera du rire aux larmes, car le bonheur a son revers. « La mort a pris celle qu’il ne fallait pas prendre ! »
Que faire lorsque le chagrin envahit la vie ? Écrire, nicher son deuil au creux des phrases et des mots, rire de tout, regarder le monde qui vous entoure. Ainsi Chehem s’attache-t-il, mi-sérieux, mi-ironique, à raconter ses compatriotes dans leur vie ordinaire. Lorsqu’à midi commence la distribution du qat, les hommes hébétés par l’herbe entêtante bégaient, ahuris, tandis que partout dans la ville sortent les femmes qui vendent « des rêves à sept cents / des rêves à mille francs ».
La dernière oeuvre de Chehem Watta est parue en 1999. Cahier de brouillon des poèmes du désert est un joli recueil, qui n’est pas sans rappeler certains ouvrages de haïkus japonais.
Là, chaque poème est une « phrase-trace », une tente de nomade calligraphiée sur la page blanche. Certains sont des reproductions de la petite écriture serrée du poète, des presque-phrases, des impressions fugitives comme un souffle de vent. Bel exercice de style pour un auteur que l’on a connu plus lyrique. Le premier chant restitue les deux voix d’une rencontre entre un homme et une femme, moment d’éblouissement mutuel, frêle construction en équilibre sur le fil des mots. Retour à la solitude pour les quatre chants suivants, où se mêlent les rumeurs rauques du port, la mémoire du nomade, la déchirure et la quête de soi-même.
Watta est certainement le plus rimbaldien des poètes de la Corne de l’Afrique, voire de toute la partie francophone du continent. Il ne cache d’ailleurs pas son amour pour le poète français Arthur Rimbaud qui, lui aussi, a vécu à Tadjourah. La similitude se retrouve dans le mode de narration et dans une certaine violence, proche de l’humaine colère, quoique celle-ci soit aussi peu authentique chez Rimbaud, qui aimait profondément les autres, que chez Watta, bien trop tendre pour s’emporter contre quiconque. Ce sont ses complaintes qui présentent le plus de ressemblances avec la « texture » des poèmes de « l’homme aux semelles de vent ». Quant à l’inspiration, elle est unique.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires