Passage de témoin

Avec le départ volontaire de France-Albert René, la présidence de l’archipel change de mains pour la première fois depuis vingt-sept ans.

Publié le 19 avril 2004 Lecture : 4 minutes.

Il laissera l’image d’un dirigeant qui a toujours su faire les choses à temps. Y compris partir. France-Albert René, 69 ans en novembre prochain, président de la République des Seychelles depuis le 5 juin 1977, a démissionné le 14 mars. Il cède sa place au vice-président James Michel, 59 ans, son plus proche collaborateur depuis plus de deux décennies, qui va mener le pays aux élections de 2006.
Comme à son habitude, France-Albert René a pris tous les observateurs au dépourvu. « Il est temps de remettre le pouvoir à quelqu’un de plus jeune et qui soit loyal envers les principes de continuité du pouvoir », a-t-il déclaré le 24 février, dans son discours annuel à la nation, devant l’Assemblée nationale et les représentants du corps diplomatique.
Il avait tout autant surpris son monde, il y a trois ans, en suspendant brusquement son mandat deux ans avant son terme, pour organiser une élection présidentielle anticipée, remportée en septembre 2001.
Celui qui était devenu l’un des plus anciens dirigeants africains, avec près de vingt-sept ans d’exercice du pouvoir, a connu un itinéraire pour le moins original. Né d’une famille modeste en novembre 1935, à Mahé, principale île de l’archipel, il fait ses études au collège Saint-Louis des frères maristes, à Victoria. Ambitieux, soucieux de se faire une place dans un archipel de 115 îles éparpillées sur l’océan Indien au nord de Madagascar, il renonce à être prêtre et opte pour des études supérieures de droit, en Suisse, puis en Grande-Bretagne. À 22 ans, il devient avocat, s’inscrit au barreau de Londres et milite dans les rangs du Parti travailliste.
Nous sommes au début des années 1960. Un vent de libération souffle sur les colonies européennes d’Afrique. France-Albert René retourne dans son pays, ouvre un cabinet à Victoria et s’illustre dans le mouvement syndical, tête de pont de la revendication indépendantiste seychelloise.
En 1964, il fonde le Parti uni du peuple des Seychelles (PUPS), qu’il représente à la première conférence constitutionnelle de Londres, en 1970, où il défend le caractère francophone de son pays.
Dans le débat sur le visage des futures Seychelles indépendantes, il s’oppose à James Mancham, fils d’un grand commerçant, leader du Parti démocratique seychellois (PDS), soutenu par les grands propriétaires et hommes d’affaires étrangers. Alors que Mancham se fait l’apôtre d’un capitalisme demeurant dans l’orbite britannique, France-Albert René prône « l’indépendance immédiate », réclame « la justice » et « l’égalité des chances ». Il obtient cinq sièges à l’Assemblée législative – contre dix au PDS – en 1970, puis 48 % des suffrages aux élections de 1974.
À l’indépendance, acquise le 28 juin 1976, James Mancham devient naturellement président de la nouvelle République des Seychelles, et France-Albert René, son Premier ministre, au sein d’un gouvernement de coalition. Mais ce dernier n’est pas de tempérament à être numéro deux.
Le 5 juin 1977, à la faveur d’un déplacement de Mancham à l’étranger, il s’empare du pouvoir, sans effusion de sang. Désormais calife à la place du calife, France-Albert René va prendre racine au palais présidentiel de Victoria, déjouant plusieurs tentatives de putsch et autres attaques de mercenaires.
Il est bientôt à la tête d’un régime de parti unique, le Front progressiste du peuple des Seychelles (FPPS, créé en 1978), et amorce un rapprochement avec l’Union soviétique. L’État seychellois favorise le développement de l’agriculture et de la pêche, modernise la formation à l’hôtellerie et au tourisme de luxe, et met en place un solide système de protection sociale.
Sur une scène africaine marquée par la guerre froide, il choisit nettement son camp. Dans la continuité des idées de Kwamé Nkrumah, Ahmed Sékou Touré ou Julius Nyerere, il est un des pourfendeurs de « l’impérialisme occidental », notamment américain. Il ne rate aucune tribune internationale, au cours des années 1980, pour dénoncer l’alliance de l’administration Reagan avec le régime d’apartheid sud-africain, et réclamer à cor et à cri le démantèlement des bases militaires occidentales dans l’océan Indien, et notamment celle, américaine, de Diego Garcia.
Mais le fougueux président n’est pas insensible à l’air du temps et, au lendemain de la chute du mur de Berlin en novembre 1989, il adopte une ligne pragmatique. Prenant la mesure des revendications démocratiques qui balaient alors une bonne partie du continent, il annonce, à l’occasion d’un congrès extraordinaire du FPPS tenu en décembre 1991, qu’après quinze ans de parti unique, « les conditions de développement nécessaires à la mise en place du multipartisme sont maintenant remplies ».
La réforme constitutionnelle bientôt engagée débouchera en 1993 sur des élections législatives et présidentielle pluralistes, que son parti et lui-même remporteront haut la main.
La popularité de celui que le peuple insulaire appelle « Président René », longtemps assise sur de bons résultats économiques, s’effrite cependant avec l’usure du pouvoir et la récession. Élu avec 59,5 % des suffrages en 1993 et 66,7 % en 1998, il tombe à 54,19 % lors de l’élection présidentielle anticipée de 2001. Ce recul accompagne la baisse du pouvoir d’achat des 84 000 Seychellois, habitués à un niveau de vie et à un revenu par habitant (5 480 euros en 2002) largement supérieurs à ceux des autres pays africains.
France-Albert René laisse à son successeur un pays doté d’un système de protection sociale performant et d’une industrie touristique de luxe réputée, mais en proie à un manque de devises et à des pénuries de biens de consommation en provenance de l’étranger.
Le désormais ex-président n’entend toutefois pas se désintéresser de l’action de son successeur James Michel. Il envisage de se « consacrer à plein temps » à leur machine électorale commune, le FPPS. S’y limitera-t-il ?

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