Nouveau pas vers la démocratie

Au vu de l’émiettement du paysage politique, la présidentielle du 5 juillet s’annonce très ouverte. Une première en terre d’Islam.

Publié le 19 avril 2004 Lecture : 5 minutes.

Rien de plus étonnant que la relative indifférence avec laquelle on a suivi dans le monde les législatives qui viennent de se dérouler en Indonésie et dont les résultats commencent à être connus – même s’il faudra attendre la fin du mois pour qu’ils soient officiellement proclamés. À peine un an et demi après le terrible attentat islamiste de Bali, à un moment où la crise économique aiguë qu’a subie l’archipel à la fin des années 1990 et la chute du régime autoritaire du général Suharto qu’elle a entraînée sont encore dans toutes les mémoires, comment expliquer que le sort politique du premier État musulman du monde, avec environ 230 millions d’habitants, ne fasse pas événement ? Parce que tout va bien et que la situation du pays ne paraît plus inquiétante ? Parce que personne n’est capable de proposer un pronostic fiable sur l’avenir politique, économique et social du pays ?
Les urnes, il est vrai, n’ont pas délivré de message très clair, alors même que ces élections devaient permettre de se faire une idée du probable résultat de la prochaine présidentielle, dont le premier tour est prévu pour le 5 juillet. Comme annoncé par les sondages, le parti de la présidente Megawati Sukarnoputri, fille du premier chef de l’État indonésien, a nettement reculé : grand vainqueur des élections de 1999 avec près de 34 % des suffrages, le Parti démocrate indonésien (PDI-P) ne semble pas en mesure de dépasser de beaucoup la barre des 20 %. Mais cet échec n’a pas profité, comme on le supposait, à l’ancien parti dominant, la formation des partisans de Suharto, le Golkar. Celui-ci, loin des 30 % annoncés qui en auraient fait un arbitre incontournable du jeu politique, devra se contenter de devancer de peu le PDI-P, retrouvant donc à peine son résultat, considéré alors à juste titre comme une défaite, de 1999.
On sait donc quels sont les partis qui ont subi un revers lors de ces élections destinées à pourvoir les sièges de l’Assemblée et à sélectionner les partis qui pourront présenter des candidats au poste suprême le 5 juillet (seuls ceux qui ont obtenu au moins 5 % des voix pourront participer). Mais qui a gagné ? À première vue, personne. Les formations arrivées en troisième et quatrième positions, avec respectivement 13 % et un peu plus de 8 % des voix, le Parti du réveil national et le Parti du développement uni, sont de vieux habitués du paysage politique : l’un est dirigé par l’ancien président déchu en 2000 pour « incompétence », Abdurrahman Wahid, et n’a pas progressé ; l’autre soutient le vice-président actuel, Hamzah Haz, et a perdu du terrain. Aucun des deux n’a donc tiré son épingle du jeu.
C’est donc, paradoxalement, à la cinquième et à la sixième place qu’on trouve les seuls vainqueurs incontestables, ceux qui ont récupéré les voix perdues par le parti de Megawati. Les islamistes modérés du PKS, le Parti de la justice prospère, tout d’abord, ont en effet réussi pour la première fois une percée en recueillant environ 7 % des suffrages, contre moins de 2 % il y a cinq ans. Mais ce mouvement, qui mène dans le pays une activité soutenue d’aide sociale et qui a axé toute sa campagne sur la lutte contre la corruption, n’entend pas jouer un rôle de premier plan pour l’instant, préférant renforcer petit à petit ses positions avant de prétendre peser sur le sort du pays, son objectif, assure-t-il, pour 2012. En revanche, le tout nouveau Parti démocratique de Susilo Bambang Yudhoyono, crédité de près de 8 % des voix, se prépare à entrer dans la bataille de la présidentielle. Son leader, celui que l’on surnomme déjà « SBY », un général javanais non dénué de charisme, est l’ancien tout-puissant ministre de la Sécurité de Wahid puis de Megawati. Il a été acculé à la démission par cette dernière au début de cette année quand il est apparu qu’il avait des ambitions politiques, ce qui n’a pas peu fait pour sa réputation puisqu’il était déjà considéré comme un des dirigeants les plus intègres d’un pays où cette vertu est supposée rare et qu’il a acquis de plus l’auréole d’un martyr politique.
Ces résultats très décevants pour l’équipe en place ont pu surprendre ceux qui suivent de loin les affaires du pays. Car le calme, pour l’essentiel, semble être revenu après l’émotion suscitée par les explosions de Bali. Et les performances de l’économie apparaissent comme plus qu’honorables : une croissance de 3,7 % en 2002, de 4,1 % en 2003 et, sauf imprévu, de 4,8 % probablement cette année ; un déficit budgétaire de mieux en mieux maîtrisé ; une monnaie désormais stable face au dollar et à l’euro ; une Bourse qui a atteint ses plus hauts niveaux historiques. Mais les électeurs ont estimé que ces résultats étaient en trompe l’oeil et ne témoignaient que d’un retour à une situation moins dramatique qu’auparavant. En un mot, ils pensent que la croissance est surtout due à l’envol des prix du pétrole, dont l’archipel est un important producteur, et au rattrapage « mécanique » qui suit la crise exceptionnelle d’il y a quelques années où la chute du PIB avait pu atteindre 14 % en un an. Ils ne créditent donc pas la présidente, qui n’a, il est vrai, rien fait de marquant depuis son arrivée au pouvoir, d’un bon bilan. L’ampleur du chômage – un bon tiers des Indonésiens sont sans emploi ou gravement sous-employés – et la persistance des pratiques de corruption au plus haut niveau sont d’ailleurs considérées comme des preuves de son incompétence.
Il n’est pas dit pour autant que Megawati, l’ancienne opposante numéro un au régime de Suharto, soit déjà condamnée à céder son poste. Car, en l’absence de tout parti dominant, ce sont les habituelles alliances et autres combinaisons entre les diverses formations qui permettront à l’un ou l’autre des candidats de remporter la présidentielle. Le très populaire « SBY », le seul qui peut apparaître comme un véritable homme nouveau, aura certes sa chance puisque, pour la première fois, l’élection du chef de l’État aura lieu au suffrage universel direct, ce qui amoindrit l’importance des jeux d’appareils. Mais si, comme on le laisse entendre, le PDI-P et le Golkar, réconciliés pour cause de nécessité électorale, allaient ensemble au combat, on ne voit pas qui pourrait empêcher leur victoire. Cependant, nombreux sont les candidats potentiels du Golkar qui auront du mal à avaler la couleuvre Megawati, à commencer par le général Wiranto. L’ancien chef de l’armée, limogé après s’être illustré en couvrant les exactions de ses subordonnés au Timor-Oriental avant le référendum d’autodétermination de l’ex-colonie portugaise, rêve en effet de revanche dans les urnes.
Reste une certitude : quel que soit le futur président, il aura bien du mal à asseoir son autorité vu l’émiettement sans précédent du paysage politique local. Et une constatation rassurante : les législatives de début avril, les premières totalement transparentes puisque l’armée ne dispose plus d’un contingent réservé de parlementaires, se sont déroulées sans aucun incident, et le taux de participation a été très élevé. On ne sait donc pas encore qui va gouverner le pays dans quelques mois et quels partis soutiendront le prochain chef de l’État, mais on sait déjà que le plus grand pays musulman de la planète, en l’espace de quelques années, a fait un très grand pas sur le chemin de la démocratie authentique.

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