[Tribune] Coronavirus : l’Afrique aurait tort « de gaspiller une bonne crise »

Alors que la crise du coronavirus signe le déclin du monde occidental et confirme la montée en puissance de la Chine, le continent aurait tout à gagner à revoir ses relations avec les États européens, et en particulier avec la France.

Paul Biya et Emmanuel Macron lors d’un sommet UE/UA, le 29 novembre 2017. © Diomande Ble Blonde/AP/SIPA

Paul Biya et Emmanuel Macron lors d’un sommet UE/UA, le 29 novembre 2017. © Diomande Ble Blonde/AP/SIPA

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Publié le 6 avril 2020 Lecture : 4 minutes.

Depuis que la France officielle a conscience d’être une puissance moyenne, sa politique étrangère, notamment africaine, consiste à rassembler et maintenir autour d’elle une coalition d’États mineurs dont elle prétend défendre les intérêts contre les mastodontes de ce monde. C’est comme cela qu’elle espère garder une influence et ralentir un déclin qui apparaît chaque jour plus inéluctable.

Déjà, dans son fameux discours de Phnom Penh en 1966 contre l’intervention américaine au Vietnam, le général de Gaulle incarnait cette ambition de faire de l’Hexagone un État-tampon entre les grands et les petits. Dominique de Villepin, au nom de Jacques Chirac, la prolongeait, en 2003, dans son fameux discours au Conseil de sécurité de l’ONU contre la guerre en Irak.

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Ces derniers jours, cette vocation s’incarne par l’activisme affiché par Emmanuel Macron aux côtés de dirigeants africains inquiets des conséquences économiques de la crise du coronavirus. Mais elle s’est aussi illustrée par la publication récente d’une « note diplomatique » du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS), sorte de think tank interne au ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères.

Une note aux accents apocalyptiques

Intitulée « L’effet pangolin : la tempête qui vient en Afrique ? », cette note aux accents apocalyptiques alerte sur la vulnérabilité des États du continent face au Covid-19, évoquant « un risque de déstabilisation durable », et propose à la France quelques leviers d’action pour gérer la « crise en Afrique ».

Largement diffusée, cette réflexion a irrité de nombreux Africains. C’est vrai qu’après avoir définitivement liquidé l’idée de l’absolue supériorité du modèle occidental, on aurait pu espérer que le coronavirus nous affranchirait, au moins pour un temps, de ce tête-à-tête infructueux entre une France désespérément paternaliste et une Afrique désespérément endormie. Raté.

Mais sur le fond, cette note semble confirmer l’incapacité des stratèges français, alors même que la crise du coronavirus marque la fin d’un monde, à repenser une nouvelle relation avec le continent.

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« Du sang, du labeur, des larmes et de la sueur »

Bien sûr, à court et moyen terme, et sur ce point les stratèges du CAPS ont raison, le continent doit se préparer, selon la formule de Churchill, à « du sang, du labeur, des larmes et de la sueur ». Oui, le secteur formel, déjà fragile dans la plupart de nos pays, sera laminé, et le secteur informel, qui est fortement dépendant du secteur formel, en pâtira. Oui, des États déjà fragiles courent un risque élevé d’effondrement. Et donc oui le chaos, sous toutes ses formes, est malheureusement à prévoir.

Mais la vraie question, qui ne semble pas intéresser les analystes du CAPS, est celle du long terme. Après que « autorités religieuses » et « les artistes populaires » désignés ont aidé Paris à combattre les incendies sociaux en Afrique, et que le coronavirus a enterré le monde que l’on connaît, dans quelle position stratégique se trouvera le continent ?

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En raison de la profonde impuissance des pays africains, consécutive à nos défaites historiques et à nos échecs contemporains, les conditions d’un relèvement du continent dépendaient de trois facteurs : un bouleversement de l’ordre mondial si profond qu’il remette en question, dans un sens moins défavorable à l’Afrique, l’équilibre des pouvoirs au niveau international ; le déclin des puissances occidentales (notamment de la France dans le cas de l’Afrique francophone) ; et l’émergence concomitante en Afrique d’une génération de leaders capables.

La crise devrait accélérer le déclassement d’une civilisation occidentale vieillissante, indolente et inefficace

Je m’étais fait à l’idée que ces conditions hautement improbables ne seraient jamais réunies de mon vivant. Pourtant, et même si rien n’est jamais acquis, la crise du coronavirus, dont l’impact sur le monde sera vraisemblablement celui d’une guerre, devrait accélérer le déclassement d’une civilisation occidentale vieillissante, indolente et inefficace.

La Chine, qui sans avoir tourné la page du coronavirus, est tout de même parvenue à retrouver un rythme d’activité normal, confirme qu’elle a l’ambition, la capacité et les ressources pour façonner un nouvel ordre mondial. Alors que se confirme la perspective d’une crise économique majeure aux États-Unis, le rebond phénoménal de l’activité industrielle chinoise au mois de mars, par rapport à l’effondrement du mois précédent, indique que la Chine pourrait bien se retrouver dans la position des États-Unis au sortir de la seconde guerre mondiale.

La classe moyenne contrainte de s’occuper directement de politique

Quant à l’Afrique, le choc qui s’annonce est particulier dans la mesure où il frappera de plein fouet la petite classe moyenne constituée de jeunes Africains éduqués. Dans le monde d’avant, ouvert et mobile, elle était parvenue à se mettre à l’abri de cette mal-gouvernance qui détruit la vie des plus pauvres. Le monde qui s’ouvre sera moins favorable.

Pour échapper au déclassement dans un contexte international hostile et fermé, elle pourrait bien être contrainte de s’occuper directement de politique, dans un univers qui, démographie oblige, devra composer avec l’Afrique. La réalité est que dans ce paysage mondial en profonde recomposition, l’Afrique francophone aurait tort, selon le mot de Churchill, de « gaspiller une bonne crise ». L’occasion d’écrire une nouvelle page de la relation France-Afrique est trop belle.

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