La vigie de la Mer Rouge

À la jonction de l’Afrique et du Moyen-Orient, le pays joue un rôle stratégique dans la lutte internationale contre le terrorisme. Aux côtés des forces armées djiboutiennes, soldats américains et européens veillent sur la région.

Publié le 19 avril 2004 Lecture : 4 minutes.

Les préparatifs allaient bon train. Johannes Rau, président allemand, devait effectuer, le 24 mars, une visite d’État à Djibouti, où des troupes de son pays sont stationnées depuis février 2002. Contre toute attente, le voyage a été annulé quelques heures avant l’arrivée prévue de Johannes Rau. Raison invoqué : les services de renseignements allemands faisaient état d’une menace d’attentat contre le chef de l’État. Une surprise et un coup dur pour le gouvernement djiboutien, dont la stratégie est fondée sur la stabilité politique et sécuritaire dans l’une des régions les plus tourmentées de la planète. Sa réaction ne tarda d’ailleurs pas. Le ministre des Affaires étrangères, Ali Abdi Farah, a manifesté, le 24 mars, son étonnement. D’autant que son pays, « membre actif de la coalition internationale de lutte antiterroriste, offre aux forces engagées dans l’opération Liberté immuable depuis janvier 2002 des bases d’appui logistique et un environnement serein où les préoccupations sécuritaires éventuelles sont endiguées par l’excellent travail de coordination des services de sécurité ». Ces derniers, dirigés depuis juin 1999 par Hassan Saïd Khaireh, travaillent en étroite collaboration avec les forces étrangères, dont les militaires allemands, stationnées à Djibouti. « Nous avons des réunions périodiques, assure Hassan Saïd Khaireh, durant lesquelles nous passons en revue tous les problèmes de sécurité. » La dernière remonte au 15 février avec le général John Abizaid, chef d’état-major des forces américaines au Moyen-Orient. Selon les autorités, rien ne semblait indiquer la préparation d’un attentat de grande envergure. Une position confortée par le porte-parole de la cellule antiterroriste américaine basée à Djibouti : « Les menaces en question ne peuvent être prises au sérieux. »
Même si Djibouti dispose de tous les ingrédients – l’extrême pauvreté, la position géographique à proximité de la Somalie en déliquescence ainsi que du Yémen et de ses islamistes, et des milliers de réfugiés – pour constituer un excellent terreau pour le salafisme djihadiste, ce pays n’a connu que deux actes terroristes, perpétrés tous les deux en 1996 : une bombe au Café de Paris et une autre contre l’Historil, un restaurant fréquenté par les soldats français stationnés à Djibouti.
Les auteurs avaient été identifiés, arrêtés et jugés. Depuis, aucune action hostile à la présence étrangère. À l’efficacité des services de sécurité djiboutiens s’ajoute celle du « renseignement » français. « Il n’y a qu’à se promener dans les rues de la capitale pour se rendre compte que la sécurité règne », assure Mohamed Abdillahi Waïs, directeur de l’Office national du tourisme, particulièrement soucieux de la réputation de son pays. Il est vrai que Djibouti est aujourd’hui l’un des rares pays au monde, outre les États-Unis, où l’on peut croiser un GI se promenant tout seul, sans arme et en civil, la nuit dans une rue animée. Comme les légionnaires français ou les plongeurs espagnols, les soldats américains quittent leur casernement au Camp Lemonnier pour s’encanailler la nuit tombée. Le Barfly, le Casablanca ou La Galette bretonne accueillent cette clientèle assoiffée de scotch et au portefeuille garni de billets verts.
Outre l’aubaine pour le commerce et les entrepreneurs locaux (plusieurs millions de dollars pour les travaux d’aménagement du Camp Lemonnier), l’accord de coopération militaire avec les États-Unis constitue une manne supplémentaire pour le budget de l’État de l’ordre de 30 millions de dollars par an jusqu’en 2005. La présence militaire allemande et espagnole est une véritable bénédiction pour les hôtels, qui ont vu leur taux de remplissage connaître une hausse sensible. L’amélioration de la situation économique à une année de l’expiration du mandat du président Ismaïl Omar Guelleh semble lui ouvrir une voie royale vers sa réélection. Ses promesses de lancement de grands chantiers ont été, pour la plupart, tenues ; sa popularité est bien réelle et la situation dans laquelle se débat l’opposition conforte sa position. En fait, la vie politique nationale est animée par deux blocs : la mouvance présidentielle comprenant quatre partis regroupés autour du Rassemblement populaire pour le progrès (RPP, du président Guelleh) d’une part, et l’opposition regroupée en une coalition de l’autre. Sous la bannière de l’Union pour l’alternance démocratique, celle-ci comprend quatre partis, dont les figures de proue sont Ahmed Dini, ancien Premier ministre et ex-chef de la rébellion armée du Front pour la restauration de l’unité et de la démocratie (Frud, mouvement afar), Ismaïl Guédi Harid, ancien directeur de cabinet du président Hassan Gouled Aptidon, et Daher Ali Farah, ancien journaliste et opposant de toujours. Le drame de l’opposition tient à son manque de représentation au sein des institutions élues. L’absence de proportionnelle au scrutin législatif l’a privée de toute représentation au Parlement. Sa seule tribune se réduit à une presse quotidienne dont l’audience est certes populaire, mais qui ne lui procure que peu d’influence dans le débat politique. Sa seconde faiblesse réside dans les rivalités personnelles entre ses chefs. Qui doit affronter Guelleh en avril 2005 ? La logique voudrait que ce soit son doyen, Ahmed Dini. Or l’ancien Premier ministre est malade et se trouve depuis quelques mois en France pour se faire soigner. Ismaïl Guédi Harid affirme que son parcours et sa parfaite connaissance du sérail lui permettent de briguer le mandat présidentiel. Quant à Daher Ali Farah, il met en avant ses multiples séjours en prison pour délits d’opinion pour justifier son statut d’opposant. Pas de quoi empêcher Ismaïl Omar Guelleh de dormir.

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