Faut-il compter les musulmans de France ?

Le nombre d’adeptes de l’islam dans l’Hexagone fait débat parmi les politiques et suscite une controverse au sein de la communauté des démographes.

Publié le 19 avril 2004 Lecture : 3 minutes.

Combien y a-t-il de musulmans en France ? Voilà une question qui reste sans réponse exacte. Et pour cause, depuis 1872, la loi républicaine interdit de distinguer les personnes sur la base de leur appartenance religieuse lors des recensements de population. Conséquence : il n’existe aucune statistique officielle comptabilisant les membres de la « communauté » musulmane, si tant est que l’on puisse utiliser ce terme. Les personnes de confession islamique vivant en France ne constituent pas un bloc monolithique, mais des individus distincts pratiquant (ou pas) chacun sa foi à sa façon.
Néanmoins un ordre de grandeur qui va de 3 millions à 6 millions est régulièrement avancé. Les représentants de l’islam ont à coeur de gonfler ces estimations en vue de voir aboutir certaines de leurs revendications (construction de mosquées, établissement de carrés confessionnels dans les cimetières, respect des interdits alimentaires dans la restauration collective…). Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls à insister sur le poids démographique des musulmans de France. Le Front national (parti d’extrême droite) soucieux d’endiguer l’« invasion islamique » n’hésite pas à avancer le chiffre fantasmatique de 8 millions !
Pour tenter de comptabiliser la population musulmane, les démographes n’ont d’autre choix que celui de recourir à l’extrapolation en se fondant sur le nombre de personnes « relevant de la culture islamique ». Entrent dans cette catégorie les immigrés et les Français originaires de pays musulmans du Maghreb, d’Afrique subsaharienne, du Moyen-Orient et d’Asie. Mais une telle méthodologie laisse à désirer. Primo, être « issu de la culture musulmane » n’implique pas forcément l’appartenance à l’islam et peut se traduire par une grande variété d’attitudes en matière de pratique. Par exemple, « 30 % des jeunes gens âgés de 20 à 29 ans nés de deux parents immigrés d’Algérie déclaraient en 1992 ne pas avoir de religion », soulignait Michèle Tribalat, démographe à l’Institut national d’études démographiques (Ined), lors d’une interview récemment accordée à L’Express. Secundo, en s’en tenant aux « immigrés et français originaires de pays musulmans », ces évaluations ne prennent en compte ni les harkis (400 000), ni les convertis (10 000 à 100 000 selon le Haut Conseil à l’intégration), ni les clandestins, ni les musulmans originaires des DOM-TOM, notamment de la Réunion et de Mayotte.
S’il est impossible d’avancer un chiffre précis, le ministère de l’Intérieur estime le nombre d’adeptes de l’islam vivant actuellement en France entre 5 millions et 6 millions, dont la moitié seraient de nationalité française. C’est probablement l’évaluation qui se rapproche le plus de la réalité, même si elle ne fait pas l’unanimité. Récemment, Michèle Tribalat, s’appuyant sur une étude réalisée à partir de l’enquête « Famille » de 1999, évalue pour sa part le nombre d’adeptes de la « deuxième religion » de France à 3,7 millions sur les 14 millions d’habitants d’origine étrangère (à majorité européenne) que compte le pays. Soit beaucoup moins que ne le prétendent les pouvoirs publics, les médias ou les leaders musulmans. Cette démographe de l’Ined a l’habitude de recourir à des méthodes controversées, mais pas forcément impertinentes. En 1992, d’aucuns, dont son confrère Hervé Le Bras qui la taxe d’« islamophobe », avaient critiqué son recours à des critères ethniques dans ses études portant sur les populations « d’origine étrangère ».
À ceux qui l’accusent d’avoir initié une catégorisation qui distingue les Français selon leur origine, Tribalat répond qu’elle entend simplement proposer des critères plus adéquats qui « décrivent le réel au mieux ». Et elle rétorque à ceux qui lui reprochent de mettre en avant des distinctions qui font le lit du Front national qu’au contraire elles serviront à combattre les discriminations raciales, à mesurer la réalité de l’intégration, et à substituer des données réelles aux chiffres issus de l’imagination de certains idéologues. Le dernier recensement qui s’est achevé en février dernier ne contient pas d’informations liées aux confessions. On ne connaîtra donc pas avec exactitude combien de musulmans, ou de juifs ni même de bouddhistes d’ailleurs, vivent en France. Voilà qui réjouira ceux qui pensent que quand on aime on ne compte pas.

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