Du bon usage des promesses électorales

Réconciliation nationale, règlement de la crise kabyle, accélération des réformes économiques Le président reconduit aura fort à faire pour tenir les engagements prispendant la campagne.

Publié le 19 avril 2004 Lecture : 5 minutes.

Le thème central de la campagne électorale d’Abdelaziz Bouteflika a sans nul doute été la « réconciliation nationale ». Un concept dans lequel les détracteurs du chef de l’État ont voulu voir une résurgence du fameux « Contrat de Rome » élaboré en février 1995 sous l’égide de la communauté (catholique) de Sant’Egidio. Mais est-ce vraiment comparable ? En appelant de leurs voeux une « réconciliation nationale », les signataires de cette « plate-forme » avaient d’abord en vue la réhabilitation juridique et politique du Front islamique du salut (FIS), le principal pourvoyeur des groupes armés, dissous trois ans auparavant. Or rien dans les propos de Bouteflika ne laisse présager une éventuelle réouverture du dossier FIS, que son prédécesseur a définitivement refermé en 1997. Pourquoi, dans ces conditions, la réconciliation nationale apparaît-elle aujourd’hui à certains comme un épouvantail ? Essentiellement, pour deux raisons.
La première tient aux positions passées d’Abdelaziz Belkhadem, le ministre d’État chargé des Affaires étrangères, par ailleurs baron du FLN et – surtout – signataire du Contrat de Rome. La seconde découle du soutien d’une grande partie de l’électorat islamiste à la deuxième candidature de Boutef. Il est vrai que le Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas), de Bouguerra Soltani, est membre de « l’alliance présidentielle ». Vrai aussi que de grandes figures de l’islamisme algérien ont appelé à voter pour le chef de l’État sortant. C’est notamment le cas de Rabah Kebir, l’un des cofondateurs du FIS, aujourd’hui exilé en Allemagne, et de Madani Mezrag, l’ancien émir de l’Armée islamique du salut (AIS), la branche militaire du FIS (autodissoute le 13 janvier 2000).
Boutef sera-t-il l’otage de ces utiles, mais encombrants soutiens ? Selon un membre de son staff électoral, il ne permettra en aucun cas au FIS de revenir sur le devant de la scène, fût-ce sous un autre nom. « Il connaît parfaitement les origines de la crise qui a ensanglanté l’Algérie. Il sait qui est responsable, et de quoi. La réconciliation nationale n’est, à ses yeux, que le parachèvement de ce qu’il a entrepris avec la Concorde civile [la « grâce amnistiante » accordée, en janvier 2000, à tous les islamistes armés acceptant de se rendre aux forces de sécurité], qui elle-même se situait dans le droit fil de la politique de clémence menée, avant lui, par le président Liamine Zeroual. »
La réconciliation nationale ne signifie donc pas que la lutte contre le terrorisme, mais aussi contre le crime organisé qui a prospéré dans l’ombre de la violence politique, va se relâcher. Selon ses promoteurs, elle n’a d’autres objectifs que de mettre un terme à toute forme d’extrémisme, ainsi qu’aux disparités régionales, de rétablir la confiance entre l’État et ses administrés, de mettre en place des mécanismes efficaces contre la corruption. Sur ce dernier point, Bouteflika a souvent rappelé, pendant la campagne, que l’Algérie est, à ce jour, le seul pays arabe et africain à avoir ratifié la Convention de l’OCDE (1997) contre la corruption internationale. Reste un dossier chaud, brûlant même : la Kabylie.
Seule femme candidate à la présidentielle, Louisa Hanoune avait axé sa campagne sur l’officialisation immédiate du tamazight, la langue berbère, sans recours à un référendum. « Depuis quand demande-t-on à un citoyen de voter pour consacrer la langue de sa mère ? » demande-t-elle. Boutef n’est apparemment pas sur la même longueur d’onde. Résolu à « poursuivre par la voie du dialogue » le règlement des « séquelles des tragiques événements qui ont secoué la région », il sollicite néanmoins le soutien de la nation dans son ensemble. En d’autres termes, une officialisation du tamazight n’est concevable qu’à l’issue d’un référendum, étant entendu qu’il appellera ses concitoyens à voter massivement « oui » Une manière, selon lui, de « réconcilier les Algériens avec eux-mêmes ».
La Kabylie a peu voté le 8 avril, mais sensiblement plus que lors des précédents scrutins : législatives de mai 2002 ou municipales d’octobre de la même année. Les scores réalisés par Boutef à Tizi-Ouzou (deuxième derrière Saïd Sadi, le régional de l’étape), à Bejaïa et à Bouira (premier dans toutes les circonscriptions) prouvent qu’il dispose dans la région d’un fort ancrage populaire. Sera-ce suffisant pour parvenir à un règlement rapide de la crise ? C’est moins sûr. « La population est lasse, avoue un militant kabyle. Elle a voté pour Boutef parce qu’elle espère qu’il parviendra à mettre un terme au conflit. Mais la solution ne lui appartient pas exclusivement. »
Pour dialoguer, il faut généralement être deux. Or la protestation kabyle s’effiloche. En tout cas, sa représentation politique, les arouch. Rien ne va plus en effet entre « dialoguistes » et « radicaux ». À la veille du scrutin, Hakim Allouache, le frère d’un délégué « dialoguiste », a même été assassiné par des adversaires politiques ! Le vote des Kabyles ressemble donc à un message à l’adresse des uns et des autres : de grâce, surmontez vos divergences !
Autre grand chantier : la poursuite des réformes économiques et le maintien du développement à son rythme actuel. Si Bouteflika a réussi à convaincre 85 % des électeurs, il le doit sans doute à son bilan et aux 46 milliards de dollars investis au cours des cinq dernières années, mais aussi à ses promesses : création de 100 000 nouvelles entreprises, de 2 millions d’emplois, d’un million de logements et de plusieurs centaines de milliers de « places pédagogiques » dans les établissements d’enseignement. L’option libérale n’est pas remise en question, mais le chef de l’État a tenu à préciser que l’économie de marché ne doit pas être confondue avec « l’économie de bazar ».
De même, il s’est efforcé de rassurer l’UGTA, la puissante centrale syndicale, qui lui a apporté un soutien précieux pendant la campagne : il n’est pas question de « brader la richesse nationale ». L’allusion vise, à l’évidence, le projet de Code des hydrocarbures, qui, l’an dernier, s’est heurté à une forte opposition de la centrale, notamment de sa fédération des pétroliers, que la perspective d’une « banalisation » de la Sonatrach inquiète : le groupe, qui bénéficie d’un statut particulier, ne doit pas, estime l’UGTA, devenir une entreprise publique comme les autres.
Selon un proche de Boutef, « l’entêtement de l’UGTA a coûté cher à l’Algérie. En dix-huit mois, le manque à gagner pour la Sonatrach a été de 10 milliards de dollars ». Bref, le gouvernement n’a aucune intention de céder aux caprices du syndicat, et le projet de texte devrait bientôt ressortir des cartons. Mais il ne souhaite évidemment pas engager une épreuve de force ! Pour préserver la paix sociale, Bouteflika a promis de soutenir la conclusion d’un « pacte national » entre le gouvernement, l’UGTA et le patronat. Il s’agit, à l’origine, d’une idée du Premier ministre Ahmed Ouyahia, qui devrait d’ailleurs être reconduit dans ses fonctions.
Le candidat Bouteflika a fait beaucoup de promesses pendant la campagne. Et il a même pris le soin d’assortir certaines d’entre elles d’un calendrier d’application. Ainsi, la réforme du système financier devrait être achevée avant la fin 2006. L’université algérienne être en mesure d’accueillir un million d’étudiants lors de la rentrée 2008. Et la question du foncier industriel être réglée avant la fin l’année en cours. Promesses électorales sans lendemain ? « Non, proteste un membre de son équipe, il ne s’agit pas démagogie, mais d’engagements fermes. Qui seront tenus pour peu que tout le monde y mette du sien. » Il vaudrait mieux qu’il en soit ainsi, tant le retard à rattraper est important.

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