Dileita Mohamed Dileita

Améliorer le pouvoir d’achat des populations et l’environnement économique, telles sont les grandes priorités du Premier ministre.

Publié le 19 avril 2004 Lecture : 6 minutes.

Né à Tadjourah en 1958, le Premier ministre de Djibouti est issu de la tribu afar des Hassouma. Après des études secondaires au Caire et un cycle universitaire à Alger, il rentre au pays en 1981. Il intègre la présidence de la République, où il travaille pour la direction générale du protocole. Au début des années 1990, il entame une carrière diplomatique, devenant le numéro deux de l’ambassade à Paris, puis chef de poste à Addis-Abeba. Homme de confiance du président Ismaïl Omar Guelleh, ce dernier le charge, en décembre 1999, de négocier avec l’aile dure du Front pour la restauration de l’unité et la démocratie (Frud, mouvement sécessionniste afar) et son leader, Ahmed Dini. Dileita Mohamed Dileita réussit à convaincre ses interlocuteurs, et les pourparlers sont sanctionnés par la signature d’un accord de paix à Paris en février 2000. Une année plus tard, le 4 mars 2001, huit jours avant son 43e anniversaire, il est nommé Premier ministre. En 2002, il dirige la campagne électorale de l’Union de la majorité présidentielle (UMP) pour les législatives de décembre. Il dresse aujourd’hui le bilan de l’action de son équipe gouvernementale.

Jeune Afrique/l’intelligent : Au mois de décembre 2002 se tenaient les premières élections réellement pluralistes…
Dileita Mohamed Dileita : Depuis l’indépendance, en 1977, notre pays est passé par plusieurs phases. Jusqu’en 1992, nous vivions sous le régime du parti unique. Cette année-là, une nouvelle Constitution a été adoptée. Le Texte fondamental a permis l’activité des partis politiques. Mais, pour tenir compte des spécificités sociologiques de notre pays, le nombre de formations était alors limité à quatre, et ce pour une durée de dix ans. Depuis deux ans, la vie démocratique de Djibouti est régie par le multipartisme intégral.
J.A.I. : Vous avez évoqué vos spécificités sociologiques. En quoi constituent-elles un handicap pour la pratique démocratique ?
D.M.D. : Il s’agit d’un problème de représentation de chacun au sein des institutions de la République. Le peuple djiboutien est composé de deux groupes ethniques, les Afars et les Issas. Ces deux groupes se scindent en plusieurs tribus, clans et sous-clans. Tous doivent être représentés au Parlement, par exemple. Si notre loi électorale repose sur le scrutin de liste, ce n’est pas pour garantir au pouvoir en place de remporter la mise. C’est la seule manière de s’assurer de la présence de tous les groupes sociaux au sein des institutions. Pouvoir et opposition sont tenus de choisir leurs candidats en fonction de cela.
J.A.I. : Sauf que, en l’occurrence, l’opposition est totalement absente de l’Assemblée…
D.M.D. : C’est vrai, mais l’opposition pourra occuper, seule, la totalité des sièges lors de la prochaine législature, si elle remporte les élections évidemment. Cela dit, le président Ismaïl Omar Guelleh s’est engagé, lors de la présentation de ses voeux à la nation, à réviser le mode de scrutin, pour introduire une dose de proportionnelle. Des élections régionales sont prévues dans les mois à venir. Nous en profiterons pour voir dans quelle mesure la représentation la plus large possible des tribus peut être garantie. Si c’est le cas, la proportionnelle sera adoptée pour les scrutins nationaux.
J.A.I. : En attendant, l’opposition ne dispose d’aucune tribune. Comment l’associer au débat politique ?
D.M.D. : Nous l’associons à chaque fois que nécessaire, c’est-à-dire à chaque événement politique. Si ses représentants refusent notre invitation – comme ce fut le cas pour les législatives de décembre 2002, lorsqu’ils n’ont pas souhaité faire partie de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) -, nous n’y pouvons rien. Pour les régionales à venir, nous souhaitons les convier à la surveillance du vote.
J.A.I. : Vous arrive-t-il de les rencontrer ?
D.M.D. : Djibouti est un petit pays, où tout le monde se connaît. Il nous arrive de nous croiser dans les dîners en ville, les réceptions dans les ambassades ou dans d’autres circonstances. Cela se passe très bien, et les diplomates s’étonnent de nous voir ensemble. Il faut préciser que ceux qui sont aujourd’hui dans l’opposition étaient, hier, nos compagnons de route. D’autres, qui furent nos adversaires irréductibles par le passé, sont aujourd’hui membre de l’Union de la majorité présidentielle.
J.A.I. : Pourtant, à lire les journaux de l’opposition, vos anciens compagnons ne sont pas complaisants…
D.M.D. : C’est tant mieux pour la démocratie. Toutefois, j’ajouterais qu’ils manquent d’objectivité. D’après eux, rien n’a été réalisé au cours des quatre dernières années. Le projet du complexe portuaire de Doraleh n’existe pas, les mille logements construits à Balbala sont tombés du ciel, l’amélioration du cadre de vie des Djiboutiens est, selon eux, un slogan creux.
J.A.I. : Que leur répondez-vous ?
D.M.D. : Quand je suis arrivé aux affaires, en mars 2001, la situation économique de Djibouti était critique et nous cumulions sept mois d’arriérés de salaires. Nous vivions un grand problème de déficit énergétique, avec des délestages électriques quasi quotidiens. Les conflits sociaux faisaient de chaque rentrée scolaire des moments de tension. Plus grave : nous étions confrontés à une fuite effrénée de nos élites vers l’étranger. Grâce une meilleure maîtrise budgétaire et un recouvrement fiscal plus efficace, nous avons inversé la tendance. Nous avons ramené les arriérés de salaires à deux mois [NDLR : la masse salariale mensuelle est de l’ordre de 1,5 milliard de FD soit un peu moins de 800 000 dollars], ce qui a contribué à un retour de confiance des investisseurs.
Nous avons également bénéficié de l’arrivée de forces étrangères. Nous avons négocié avec les Américains un accord de coopération triennal [NDLR : 30 millions de dollars par an pour la période 2003-2005] et nous avons renégocié avec la France les conditions de la présence de ses troupes [NDLR : 30 millions d’euros par an]. Ces apports financiers nous ont permis de résorber le déficit de la balance des paiements et de relancer les investissements publics, notamment pour les infrastructures.
J.A.I. : Mais les investisseurs étrangers sont encore réticents…
D.M.D. : Ce n’est pas tout à fait exact. Le partenariat que nous avons engagé avec des investisseurs de Dubaï a permis une meilleure gestion de nos infrastructures portuaires et aéroportuaires. Le complexe de Doraleh coûtera 350 millions de dollars, et sera totalement financé par nos partenaires. Ceux-ci pensent que Djibouti peut devenir le Dubaï de l’Afrique orientale. Et ils ne sont pas les seuls à le croire. Il y a quelques jours, j’ai reçu un promoteur saoudien qui souhaite acquérir un terrain à Djibouti-ville pour y réaliser un complexe immobilier de plusieurs centaines de villas de standing.
J.A.I. : Vous avez l’ambition de faire de Djibouti un Dubaï pour la Corne de l’Afrique, mais les hommes d’affaires jugent les taux de crédit trop élevés pour soutenir l’investissement avec efficacité. Comment intervenir ?
D.M.D. : Notre secteur financier est performant. Son action ne se limite pas à la seule économie djiboutienne, mais à l’ensemble de la sous-région, du fait de la bonne santé du franc djiboutien. Mais les institutions financières de la place sont trop puissantes pour recevoir des injonctions de la Banque centrale. Il est difficile de leur imposer quoi que ce soit. Cela dit, le gouvernement envisage d’augmenter sa part dans le capital de certaines banques, par l’acquisition d’actions auprès de nos partenaires, notamment à la Banque commerciale et industrielle-mer Rouge (BCIMR) pour être un peu plus influent en matière de politique financière.
J.A.I. : Quelles sont vos priorités pour la dernière année de mandat du président Guelleh ?
D.M.D. : L’amélioration du pouvoir d’achat et de l’environnement économique pour les investisseurs. Nous avons conscience de nos limites : le manque d’infrastructures et le coût de l’énergie. Ces deux facteurs ne sont pas conjoncturels, mais structurels. Notre facture énergétique ne pourra être réduite si nous ne faisons pas des économies d’échelle. Or la taille du marché djiboutien ne permet pas ce genre de performance. Pour y parvenir, il faudrait faire de Djibouti un vrai terminal pétrolier à vocation sous-régionale. Nous avons un projet de raffinerie à Doraleh, qui sera couplée à la construction d’une centrale électrique. Un opérateur koweïtien vient d’achever l’étude de faisabilité d’un oléoduc destiné au marché éthiopien. Par ailleurs, nous avons signé un accord avec les autorités d’Addis-Abeba pour l’interconnexion des réseaux de distribution électrique entre les deux pays. Toutes ces mesures devraient aider à réduire notre facture énergétique.

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