[Tribune] L’union sacrée au temps du coronavirus, une fausse bonne idée ?

Alors que la pandémie s’étend, nombre de dirigeants prônent l’union sacrée. Les opposants sont priés de faire preuve de responsabilité. Mais tous les pays ne peuvent pas se permettre cette parenthèse dans leur vie politique.

Macky Sall reçoit Idrissa Seck (g.), le 24 mars au palais présidentiel à Dakar. © DR / Présidence sénégalaise.

Macky Sall reçoit Idrissa Seck (g.), le 24 mars au palais présidentiel à Dakar. © DR / Présidence sénégalaise.

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  • Georges Dougueli

    Journaliste spécialisé sur l’Afrique subsaharienne, il s’occupe particulièrement de l’Afrique centrale, de l’Union africaine et de la diversité en France. Il se passionne notamment pour les grands reportages et les coulisses de la politique.

Publié le 8 avril 2020 Lecture : 4 minutes.

Les traditions africaines sacralisent l’unité communautaire lorsqu’un danger imminent menace la survie du groupe. Un lion mangeur d’hommes rôde non loin du village, un nuage de criquets destructeurs ravive le spectre de la famine, une pluie diluvienne fait courir le risque d’une inondation…

Quelle que soit sa forme, le péril à conjurer sonne la trêve. Le règlement des conflits opposant les membres d’une même communauté est suspendu. Loin d’être une exclusivité africaine, ce réflexe de bon sens est tout simplement humain, relevant de l’instinct de survie.

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Ainsi est née en France l’idée d’union sacrée. Si elle fait aujourd’hui partie du langage courant, l’expression est apparue pour la première fois le 4 août 1914, soit le lendemain du jour où l’Allemagne a déclaré la guerre à la France. Ce fut l’un des mots clés du discours du président Raymond Poincaré lu par le président du Conseil, René Viviani. Il y était alors question de faire corps en tant que nation face à l’ennemi mortel que fut l’Allemagne lors de la première guerre mondiale qui s’est ensuivie.

Injonction à l’opposition

Reprenant le concept de son illustre devancier, le président français Emmanuel Macron, qui a érigé la lutte contre la pandémie du coronavirus en « guerre », a appelé à l’union sacrée. L’Ivoirien Alassane Ouattara a fait de même, bientôt suivi par d’autres chefs d’État du continent.

Certes, le Covid-19 a engendré une crise sanitaire terrifiante. Ce virus représente une menace véritable, il tue hommes et femmes sans distinction de classe, engendre du chômage et dévaste les économies. Y faire face est un immense défi – mais n’est en aucun cas une guerre qui justifierait le recours à l’union sacrée.

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Cela dit, la France peut se permettre cette parenthèse dans sa vie politique. Pays de libertés, à la culture démocratique éprouvée, aux institutions solides, elle retrouvera sa vitalité démocratique sitôt la crise endiguée. Le pouvoir rendra des comptes aux citoyens. La justice établira les responsabilités politiques, civiles et délictuelles des éventuelles défaillances constatées. Les électeurs sanctionneront les élus lors des prochains scrutins.

Peut-on se permettre la même parenthèse dans les pays en voie de démocratisation sur le continent ? La plupart des oppositions et des sociétés civiles ont dit oui. Certains, à l’instar du Sénégalais Ousmane Sonko, estimant que la période appelait « chacun de nous au sens de la responsabilité et surtout au dépassement de ses convictions ».

Macky Sall a pris le soin de recevoir ses adversaires politiques pour les impliquer dans la lutte contre le virus tueur

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En d’autres termes, un opposant responsable devrait, le temps de cette crise sanitaire, retenir ses coups et privilégier l’intérêt général. Il faut dire que le président Macky Sall a pris le soin de recevoir, autrement dit de consulter, ses adversaires politiques pour les impliquer dans la lutte contre le virus tueur.

En revanche, la question ne se pose pas dans certains pays d’Afrique centrale, incapables de passer, du jour au lendemain, d’un régime centralisé et « verticaliste », où le président décide de tout, à une démocratie, où la décision consensuelle est prise après concertation.

Au Cameroun, Paul Biya n’a consulté personne, mais a fait lire ses « Hautes Instructions » par son Premier ministre, Joseph Dion Ngute. Dans cette partie du continent, l’union sacrée est une injonction intimant à l’opposition d’arrêter de s’opposer sans pour autant lui donner voix au chapitre.

Pour les forces alternatives, la marge de manœuvre se réduit à savoir s’il faut se ranger derrière le pouvoir ou « se mettre » carrément avec le pouvoir ! Dans les deux cas, les oppositions encourent le risque politique d’être tenues pour comptables de l’échec des mesures de prévention et de lutte contre la pandémie.

Fausse bonne idée

L’union sacrée est donc, à mon sens, une fausse bonne idée. Pour bénéficier des avantages inestimables dont nous gratifie la démocratie, nous devons accepter d’en subir les inconvénients – et accepter de se soumettre à la critique. La survie des peuples est une affaire trop sérieuse pour être laissée aux seules mains d’un pouvoir, aussi clairvoyant soit-il.

L’union sacrée ne doit pas être une camisole de force destinée à entraver les contre-pouvoirs

Ousmane Sonko fait œuvre utile en appelant à la vigilance citoyenne. « En aucun cas il ne faudrait qu’un seul franc destiné à ce combat se retrouve ailleurs. » Promoteur du club de réflexion « Pour le Gabon », l’opposant Charles M’Ba a raison de réclamer plus de « transparence », notamment dans la gestion du matériel médical offert par le milliardaire chinois Jack Ma. « Quelle contrepartie ? » interroge-t-il le gouvernement.

Et Maurice Kamto est parfaitement légitime lorsqu’il demande à un Paul Biya silencieux et calfeutré depuis le début de mars en son village de Mvomeka’a d’assumer pleinement ses fonctions. L’union sacrée ne doit pas être une camisole de force destinée à entraver les contre-pouvoirs dans des pays où la corruption est endémique. Même en situation de crise, le jeu démocratique doit continuer.

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