Après Fallouja, l’union sacrée

Publié le 19 avril 2004 Lecture : 2 minutes.

Les médias arabes parlent aujourd’hui d’une Intifada irakienne, soulignent les similitudes entre la situation en Irak et celle des Territoires palestiniens, comparent Fallouja à Jénine et pointent la complicité Bush-Sharon. Les analogies entre les drames irakien et palestinien ne sont pas fortuites. Elles trahissent l’imbrication des intérêts d’une puissance mondiale (les États-Unis) et d’une autre régionale (Israël). Elles soulignent aussi la communauté de destin des deux peuples (irakien et palestinien) qui n’ont cessé de subir les contrecoups d’une décolonisation incohérente.
Dans leur volonté de remodeler le Moyen-Orient au mieux de leurs intérêts, Washington et Tel-Aviv ont toujours cherché à alimenter les clivages religieux, ethniques et politiques dans cette région particulièrement agitée. Mais leurs desseins se sont souvent heurtés à des résistances qui ont rendu ces clivages inopérants. Les Américains sont en train d’en faire l’amère expérience en Irak.
Dans ce pays qu’ils ont libéré du joug d’une dictature féroce, les troupes de la Coalition font face, en effet, à une résistance farouche. Longtemps confinée dans le triangle sunnite, bastion du régime déchu (Tikrit, Fallouja, Baaqouba), cette résistance a gagné toutes les autres régions. Les « partisans » n’appartiennent plus exclusivement à la minorité sunnite, mais aussi à la majorité chiite. Et même si la ville sunnite de Fallouja, à l’ouest de Bagdad, reste le foyer (et le symbole) de la rébellion, d’autres villes, comme Kout et Kerbala, dans le sud, Nadjaf et Koufa, au centre, Baaqouba et Ramadi, dans le nord, sans oublier Sadr City, fief des partisans du leader extrémiste chiite Moqtada Sadr, et les faubourgs ouest de Bagdad, ont connu (et connaissent encore) des accrochages entre résistants et forces d’occupation. Pour expliquer cette mobilisation quasi générale des Irakiens, toutes communautés confondues, un Bagdadi, cité par le Wall Street Journal Europe du 14 avril, a déclaré : « Tout Irakien qui se respecte ne peut rester les bras croisés alors que des femmes et des enfants continuent de se faire tuer sous ses yeux. »
Aussi les autorités d’occupation ne peuvent-elles plus miser sérieusement sur un hypothétique conflit entre sunnites et chiites. Elles ne peuvent plus parler de résistance résiduelle animée par des groupes armés proches de l’ancien régime, aidés seulement par des « volontaires arabes ». Car nous assistons aujourd’hui à une révolte populaire, nourrie par un sentiment patriotique renaissant. Cette révolte, à laquelle prennent part la plupart des composantes ethniques et religieuses de l’Irak, à l’exception peut-être des Kurdes, s’étend à (presque) tout le territoire. Autre signe de ce regain de patriotisme, les slogans qui fleurissent sur les murs de Bagdad ne s’en prennent plus à Saddam et aux baasistes, mais aux États-Unis : « Plus d’occupation à partir d’aujourd’hui », « Vive la résistance », « Vive les héros de Fallouja », « Vive l’Armée du Mahdi [milice chiite de Moqtada Sadr] » ou encore « À bas l’Amérique ».
En réprimant férocement la rébellion, à Fallouja, Nadjaf et ailleurs, les troupes de la Coalition ne feront que renforcer, sur un fond d’antiaméricanisme rampant, le nationalisme et l’islamisme. Elles réussiront aussi l’exploit, aussi inimaginable que stupide, de liguer tous les Irakiens contre elle.

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