Seul au monde ?

Bête noire des Occidentaux, le président zimbabwéen était la voix libre et indépendante d’un continent laissé-pour-compte. Mais ses derniers excès – et la faillite de son pays – embarrassent ses pairs africains.

Publié le 19 mars 2007 Lecture : 5 minutes.

Cette fois, c’est trop. Les arrestations des manifestants, à Harare, le 11 mars, et les tabassages en règle des dirigeants de l’opposition pendant leur garde à vue ont déclenché de violentes réactions internationales. Comme de bien entendu, le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Union européenne ont protesté contre les dérives autoritaires du régime zimbabwéen. Washington a menacé de serrer davantage le boulon des sanctions qui frappent déjà depuis 2002 ce pays désormais en faillite. La diabolisation de Robert Mugabe par l’Occident a commencé à la fin des années 1990, et ne cessera qu’à sa mort – physique ou politique. Mais peu importe. Londres et Washington ont beau s’égosiller, Mugabe a appris à s’en moquer. Mieux, à en jouer pour se poser en pourfendeur des injustices dont souffre le continent.
L’énergique octogénaire – il a fêté ses 83 ans le 24 février – est loin d’être le moins bien placé pour arborer le boubou emblématique d’une Afrique qui refuse de se plier au diktat des bailleurs de fonds, bien souvent arrogants. Éduqué par les jésuites, abreuvé de littérature anglaise pendant sa jeunesse en Rhodésie du Sud, il passe par Fort Hare, l’université noire d’Afrique du Sud, puis, en 1958, part enseigner au Ghana de Kwame Nkrumah. De quoi éveiller chez le jeune Zimbabwéen aux bonnes manières et à l’accent british le désir de lutter contre la colonisation dans son pays. Il y retourne en 1960. Il a 36 ans et s’engage auprès de Joshua Nkomo pour combattre le régime raciste de Ian Smith. S’ensuivent onze ans de prison. Les humiliations. Les injures. Tout ce qui forge un révolutionnaire déterminé, intelligent et habile à répondre à l’appel des armes. Sans attendre, immédiatement après sa sortie de prison en 1974, il prend le maquis. De finesse et de subtilité, Robert Mugabe saura user contre les Britanniques, mais aussi contre tous les obstacles qui se dressent entre lui et le pouvoir. L’indépendance négociée pied à pied et obtenue avec les accords de Lancaster en 1979, son parti, la Zanu-PF, gagne haut la main les élections de 1980. Nommé Premier ministre dans la foulée, le révolutionnaire pragmatique bénéficie de la bénédiction du monde entier. Ses mots prononcés le 18 avril 1980, jour de l’indépendance, ont marqué les esprits : « Si, hier, je vous ai combattus comme ennemis, aujourd’hui, vous êtes devenus amis et alliés », avait-il lancé aux Blancs. C’est que « Bob » compte sur l’aide des Britanniques – qui sont d’accord – pour résoudre le problème qui gangrène son pays, et toute l’Afrique australe : la redistribution des terres. Mais les Anglais ne feront rien pour tenir parole et rémunérer les fermiers blancs qui devaient passer la main.

La déception vis-à-vis de l’Occident sert de terreau (ou de prétexte) à la tentation autoritaire et despotique de Mubage. En 1983, il n’hésite pas longtemps avant de réprimer dans le sang la rébellion menée dans le sud du pays par son mentor Nkomo. En 1987, à la suite d’une révision constitutionnelle, le voilà chef de l’État. Fier de son parcours, de sa propre personne et de son pays, Mugabe est tout-puissant. Et parce que ses pairs sont bien contents de faire de cet homme, de toute façon mis au ban de la communauté internationale, le messager de certaines idées qu’ils partagent, aucun de ses homologues africains ne tente d’enrayer l’évolution radicale qu’emprunte le dernier héros de la libération encore au pouvoir. De Pretoria à Abidjan, les palais n’ont jamais cessé de rester sinon solidaires, du moins compréhensifs.
Jusqu’à ce fameux 11 mars, quand le président zimbabwéen, au pouvoir depuis vingt-sept ans, annonce son intention de garder son fauteuil. Jusqu’à la diffusion des images d’un Morgan Tsvangirai, leader de l’opposition depuis 1998, le visage tuméfié et le crâne abîmé. Pour la première fois, les Africains réagissent. « Ce qui se passe au Zimbabwe est embarrassant et met l’Union africaine [UA] dans une position inconfortable », a reconnu, à Londres, John Kufuor, président en exercice de l’organisation. Plus grave pour le chef de l’État zimbabwéen, l’Afrique du Sud, d’ordinaire partisane d’une « diplomatie discrète » (à l’opposé de celle jugée inefficace du « haut-parleur » londonien), a, elle aussi, fini par appeler « le gouvernement zimbabwéen à respecter l’État de droit », « les droits de tous les Zimbabwéens » et ceux « des leaders des différents partis politiques ». Déjà, lors des cérémonies du cinquantième anniversaire de l’indépendance du Ghana à Accra, le 6 mars, Thabo Mbeki et Robert Mugabe avaient eu maille à partir. Hors de question, avait prévenu le leader sud-africain, que la Coupe du monde de football, qui doit se tenir dans son pays en 2010, soit perturbée par une élection présidentielle contestée chez son voisin du Nord. L’opposition zimbabwéenne, qui reprend des forces et tente de s’unir après les scissions qui la traversent depuis 2005, n’a pas l’intention de rester discrète en attendant que les projecteurs du monde entier soient braqués sur l’Afrique australe. Et la région, elle, commence sérieusement à s’inquiéter de l’évolution dramatique du Zimbabwe.

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Les difficultés économiques que connaît l’ancien « grenier de l’Afrique australe » ont mis des millions de Zimbabwéens sur les chemins de l’exil. Levy Mwanawasa, le dirigeant zambien, s’est inquiété publiquement des conséquences économiques de la faillite zimbabwéenne et a fermement l’intention d’amener la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), dont il prendra la présidence en exercice en août, à inscrire le cas Mugabe à l’ordre du jour de son prochain sommet.
Le chef de l’État du Zimbabwe est de plus en plus isolé. Il est même contesté au sein de son propre parti et mis en difficulté par les deux factions qui se disputent son héritage. S’il a pu, un temps, soutenir sa vice-présidente Joice Mujuru, ses relations avec elle se sont refroidies depuis que son mari, le général Solomon Mujuru, mène la fronde au sein de la Zanu-PF pour y accélérer le renouvellement du leadership. « Bob » ne fait pas davantage confiance à l’autre clan, celui du ministre du Logement, Emmerson Mnangagwa.
À vouloir demeurer une icône vivante, Mugabe fait perdre des couleurs au lustre de son combat. Tant qu’il tonnait contre l’arrogance occidentale, qu’il tentait de réparer l’injuste répartition des terres, son franc-parler trouvait un certain écho chez les Africains. Mais aujourd’hui, s’il se trouve quelqu’un au Zimbabwe pour déclarer : « Il n’y a pas de liberté sans combat, il n’y a pas de liberté sans sacrifice », c’est bien Morgan Tsvangirai, depuis son lit d’hôpital à Harare. Mugabe, lui, envoie tous les pays occidentaux « se faire pendre ».

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