Sauve qui peut !

Conséquence de la guerre civile et de l’occupation américaine : 1,8 million de personnes ont été déplacées dans le pays et 2 millions ont fui à l’étranger.

Publié le 19 mars 2007 Lecture : 5 minutes.

Depuis l’invasion de l’Irak, en mars 2003, 1,8 million de personnes ont dû quitter leur région et 2 millions se sont réfugiées dans les pays voisins. Le Moyen-Orient n’avait pas connu pareil phénomène depuis la création d’Israël, en 1948, et l’exode de centaines de milliers de Palestiniens. On avait promis aux Irakiens la démocratie, ils ont eu le chaos. L’autorité du gouvernement de Nouri al-Maliki s’arrête aux limites de la Zone verte, un quartier de Bagdad transformé en bunker par l’armée américaine. Dans le reste du pays règne une violence inouïe. Nul Irakien n’est en sécurité, quelles que soient sa condition sociale et son appartenance religieuse, politique ou tribale. Survivre, c’est fuir. Quitter sa maison, son quartier, sa ville. Les moins nantis changent de région, les autres choisissent l’exil.
C’est le Kurdistan qui concentre le plus grand nombre de personnes déplacées. Relativement épargnée par la guerre civile, cette région autoproclamée autonome, qui dispose de son gouvernement, de son Parlement et de sa police, accueille en priorité l’élite du pays. Chirurgiens, ingénieurs ou universitaires n’ont aucune difficulté à « s’intégrer ». Emploi et logement assurés. Il en va tout autrement pour les dizaines de milliers de déplacés installés dans des camps de fortune autour des grandes villes du « pays de Massoud Barzani ».
Dans les provinces du Sud, on ne recense quasiment plus de citoyen sunnite. À Bagdad, on change de quartier en fonction de la pratique religieuse des voisins. Des bidonvilles, phénomène nouveau pour les Irakiens, ceinturent désormais les grandes agglomérations. Les terres agricoles sont en jachère et certains villages ont perdu la totalité de leurs habitants. Le chaos empêche toute intervention des organisations humanitaires internationales. De nombreux bénévoles du Croissant-Rouge irakien, seule structure qui tente de faire face à cette tragédie, ont été victimes d’actes terroristes ou de bavures américaines. Les déplacés de l’intérieur sont donc livrés à eux-mêmes, vivant de la solidarité, tribale ou familiale. La précarité de leur situation ne semble être une priorité ni pour le gouvernement irakien ni pour l’occupant américain. Les appels du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) pour une assistance aux populations déplacées, évaluée à 60 millions de dollars par an, sont restés lettre morte. Soixante millions de dollars ? Cela représente moins de 1 % des dépenses militaires mensuelles américaines (8 milliards de dollars).
S’agissant des exilés, près de la moitié d’entre eux – 900 000 – ont choisi la Syrie et 800 000 la Jordanie. Quant aux États-Unis, principaux responsables de cette tragédie, au 31 décembre 2006, ils n’avaient accordé l’hospitalité qu’à 463 demandeurs d’asile. Les candidats à l’exil, qui partent le plus souvent en famille, disposent de deux moyens pour quitter l’Irak : la route ou les voies aériennes. Le premier est le moins cher. De Bagdad, on peut rallier les frontières syrienne ou jordanienne. Le trajet dure sept heures. Pour 300 dollars, un père de famille peut louer un « GMC », énorme véhicule tout-terrain au confort sommaire. Mais cet axe routier est sans doute l’un des plus dangereux de la planète. Le dernier barrage de l’armée américaine se situe en tout début de trajet, à hauteur du tristement célèbre bagne d’Abou Ghraib, à moins de 50 kilomètres à l’ouest de Bagdad. Puis ce sont près de 700 kilomètres de bitume semés d’embûches. Des djihadistes d’al-Qaïda aux miliciens chiites du Djeïch al-Mahdi, aux ordres du jeune imam Moqtada Sadr, en passant par d’impitoyables coupeurs de route ou par des soldats américains, un doigt tremblotant sur la gâchette. Six cents kilomètres plus tard, l’aspirant à l’exil se retrouve face à un choix cornélien. L’autoroute se scinde en deux : un axe vers le poste frontalier jordanien de Rouiched et un autre vers la Syrie. C’est le deuxième qui a les faveurs de la majorité. Les policiers et douaniers syriens ayant la réputation d’être moins « gourmands » que leurs homologues jordaniens. Par ailleurs, le royaume hachémite semble avoir atteint le seuil de tolérance. Pour restreindre le nombre d’entrées quotidiennes, les autorités d’Amman ont même adopté un certain nombre de mesures : refus des anciens documents de voyage (les passeports délivrés du temps de Saddam Hussein étant susceptibles d’être des faux), obligation de disposer d’un compte bancaire, justification de ressources. Bref, un dispositif pour décourager le maximum d’Irakiens.
L’autre voie pour quitter l’Irak est aérienne. Iraqi Airways et Royal Jordanian proposent, chacune, un vol quotidien Bagdad- Amman. Le vol dure quarante-cinq minutes et le billet coûte 700 dollars en classe économique, autant que pour un trajet Amman-Paris (cinq heures de vol). « Ces tarifs ne s’expliquent pas uniquement par la forte demande, explique Mondher, cadre commercial à Iraqi Airways, les assurances sont hors de prix. » Le coût du billet n’empêche pas les vols d’être surbookés. « Arriver vivant à l’aéroport international de Bagdad relève de l’exploit, raconte Ounous, ancien étudiant à l’université, aujourd’hui réfugié à Damas, mais quand on apprend qu’on est sur liste d’attente et que l’on n’a aucune chance d’être embarqué, c’est une épreuve inhumaine. » L’Arabie saoudite et le Koweït ayant formellement fermé leurs frontières pour prévenir toute infiltration d’éléments djihadistes sur leur territoire, la Turquie faisant preuve d’une excessive prudence en matière de circulation des personnes le long de ses frontières pour cause de sédition kurde, les Irakiens n’ont d’autre choix que l’option syrienne. Ils sont près d’un million à s’être installés à Damas. Ils sont chiites, chrétiens, sunnites ou turkmènes. En exil, leur cohabitation est parfaite. Leurs querelles, de plus en plus meurtrières, ne dépassent pas les frontières de leur pays. Dans la capitale syrienne, les réfugiés irakiens vivent de leurs économies et de petits boulots. Les chiites déambulent autour du mausolée de Saïda Zeïnab, un des lieux saints du chiisme situé dans la banlieue de Damas. Les centaines de pèlerins iraniens qui affluent chaque jour font preuve de générosité, distribuant lires syriennes et repas chauds aux enfants de réfugiés. À Damas, les Irakiens sont parvenus à créer un « little Bagdad » avec leurs cafés, leurs centres commerciaux et leur théâtre. Comme si leur exil s’inscrivait déjà dans la durée.

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