Ousmane Issoufi Maïga : la griffe du technocrate

À la tête du gouvernement depuis avril 2004, le Premier ministre se veut apolitique. Portrait d’un homme réputé pour sa rigueur et son exigence.

Publié le 19 mars 2007 Lecture : 5 minutes.

Tout le monde, ou presque, l’appelle « Pinochet ». Le sobriquet, pourtant lourd à porter, l’amuse. « Comme je n’ai jamais constitué une menace pour les droits humains, j’imagine que ce surnom provient plutôt de la rigueur que j’exige de mon entourage », affirme Ousmane Issoufi Maïga. Carrure de rugbyman, visage poupin au sourire rare, le Premier ministre, entré en fonctions en avril 2004, a la soixantaine élégante. Pur produit de l’administration, il est issu d’une famille noble de Bentia, ancienne capitale de l’empire songhaï, situé à 50 kilomètres d’Ansongo, dans la région de Gao (nord-est). Fier de son ascendance, il explique son refus de militer au sein d’un parti politique par l’éducation qu’il a reçue. « J’ai été élevé dans des valeurs de partage et de solidarité, de respect du travail accompli et du mérite qui en découle. En choisissant la fonction publique, je me suis interdit de militer, car ma perception de l’administration imposait la neutralité et l’impartialité. » Parfois au détour d’une phrase, l’homme se veut nostalgique. « À la fin des années 1950, je poursuivais mes études au lycée de Gao. À cette époque, la ville accueillait les représentants du Front de libération nationale (FLN) algérien. Parmi eux, un certain Abdelaziz Bouteflika. Comme les loisirs étaient plutôt rares à l’époque, Bouteflika venait nous voir jouer au football. À la fin des matchs, il venait nous saluer. Moi, il m’appelait toujours Prince. J’aurais préféré garder ce surnom plutôt que celui de Pinochet. Mais on ne choisit pas ! » lâche-t-il, amusé.

Le sport a toujours eu une place prépondérante dans la carrière d’Ousmane Issoufi Maïga. Mais il n’a jamais empiété sur ses études. De l’école primaire de Gao, où son oncle était instituteur, à l’université Patrice-Lumumba de Moscou, en passant par Washington et Milan où il s’est spécialisé dans les sciences économiques et financières, son cursus l’a mené aux plus hautes fonctions de l’administration. L’homme ne s’est pourtant jamais totalement éloigné des terrains de sport. Pendant longtemps, il a pratiqué les arts martiaux et s’est occupé du Stade malien, l’équipe de foot la plus populaire de Bamako. « Lors de ma première nomination au sein du gouvernement en 1991, j’ai dû toutefois prendre mes distances avec le club », déplore-t-il. C’est à cette occasion qu’il rencontre pour la première fois le Amadou Toumani Touré (ATT). L’officier supérieur vient de renverser le régime de Moussa Traoré, à l’issue d’un soulèvement populaire qui a fait plusieurs dizaines de victimes. ATT fait alors appel à l’enfant de Bentia. Et lui confie un portefeuille sensible, celui du Contrôle financier. Depuis, les deux hommes ne se sont jamais quittés.

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Alors que le général ATT rend le pouvoir aux civils, Ousmane Issoufi Maïga poursuit sa carrière de grand commis de l’État. Il devient secrétaire général du ministère de l’Économie et des Finances où il collabore avec une autre grande figure malienne : Soumaïla Cissé, actuel président de la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Le président Alpha Oumar Konaré remarque ce bourreau de travail et le nomme, en 2002, à la tête du ministère de la Jeunesse et des Sports afin de préparer la Coupe d’Afrique des nations, la première grande manifestation sportive jamais organisée dans le pays. La CAN 2002 s’avère l’une des plus réussies dans l’histoire de la compétition. Depuis, Ousmane Issoufi Maïga n’a pas quitté l’équipe gouvernementale. Il est nommé ministre de l’Économie et des Finances avant de prendre la tête du département stratégique de l’Équipement pour, enfin, accéder à la primature en avril 2004.
Ousmane Issoufi Maïga entame alors son premier grand chantier, celui de la privation de la Compagnie malienne des textiles (CMDT). Il se rend à Washington pour obtenir du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale un moratoire sur la libéralisation de la filière, exigée par les institutions de Bretton Woods dans le cadre de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) en vue de l’allègement de la dette publique extérieure. Le gouvernement obtient un délai de quatre ans. « Nous avions besoin de temps pour mieux préparer la filière coton. Les expériences malheureuses qu’ont connues certains de nos voisins nous ont conduits à agir avec la plus grande prudence. Il s’agit d’un secteur qui fait tout de même vivre 3,5 millions de Maliens. »
Au bureau de 6 h 30 à 21 heures, le Premier ministre ne compte pas son temps. Les audiences, qui se succèdent à un rythme effréné, ne lui permettent que de très rares pauses déjeuner. « Le modèle malien est unique au monde, plaide-t-il. Je suis le Premier ministre apolitique d’un président élu sans étiquette dans un pays qui compte une centaine de partis. Moi, technocrate par excellence, j’ai été nommé à la tête d’un gouvernement de large union nationale, c’est-à-dire avec la participation de l’ensemble de la classe politique. J’ai intégré une équipe que je n’ai pas choisie et j’ai pour mission d’appliquer le programme du président de la République, un plan de développement des plus ambitieux pour le Mali. »
« Apolitique », le Premier ministre ne peut l’être tout à fait. Surtout lorsqu’on a pour tâche de maintenir la paix sociale et le dialogue avec les syndicats. « Quand un conflit éclate, Ousmane Issoufi Maïga n’est pas homme à convoquer les représentants des grévistes, raconte l’un de ses collaborateurs. Il se rend inopinément au siège des syndicats, entame des pourparlers et finit par désamorcer la situation. » Avec la presse, en revanche, les relations semblent plus tendues. À plusieurs reprises les journaux ont annoncé son départ du gouvernement. Mais il est toujours là. « Je n’ai jamais mis et je ne mettrai jamais un journaliste en prison parce qu’il a critiqué ma manière de gérer les affaires publiques, prévient-t-il. En revanche, je sanctionne volontiers un membre de mon équipe lorsqu’il manque de rigueur. »

Aujourd’hui, Ousmane Issoufi Maïga est chargé d’organiser l’élection présidentielle d’avril 2007. À l’approche du scrutin, le Premier ministre peine à cacher une certaine inquiétude. « Le taux de participation me préoccupe. Le Mali est un exemple de démocratie dans la région. Et doit le rester. Pour cela, le citoyen doit s’impliquer davantage dans la gestion des affaires publiques. En se rendant aux urnes, il donnera la légitimité à ses gouvernants. Mais le civisme des Maliens n’est pas l’affaire exclusive du gouvernement, c’est également celle de toute la classe politique et de la société civile. »
Fier de son parcours, Ousmane Issoufi Maïga dit être resté fidèle aux valeurs inculquées par ses parents. Un seul regret toutefois : avoir été contraint de prendre ses distances avec le sport, en général. Et le Stade malien en particulier.

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