Donald Kaberuka à l’heure du bilan
En 2015, le président de la BAD achèvera son second mandat de cinq ans. Retour sur le parcours de cet économiste qui a su redonner une crédibilité internationale à la Banque africaine de développement.
« Lorsque nous nous reverrons, l’année prochaine à Abidjan, je serai en train de passer la main… » Ce 22 mai, à Kigali, Donald Kaberuka semblait déjà dire au revoir aux convives et aux habitués des assemblées générales annuelles de la Banque africaine de développement (BAD). En prononçant ces mots, le président de l’institution financière panafricaine, pourtant réputé flegmatique, a vu sa voix vaciller, trahissant son émotion. En mai 2015, dans la capitale ivoirienne, il sera en effet sur le point d’achever dix années passées à la tête de la première organisation de financement du développement sur le continent. À cette occasion, c’est son successeur qui retiendra l’attention de tous.
Avant lui, peu de dirigeants avaient autant imprimé leur marque à la banque.
Bilan
Donald Kaberuka le sait : même s’il a encore douze mois décisifs devant lui, avec l’immense défi logistique que représente le retour (prévu pour début juillet) du siège de la banque à Abidjan, l’heure de son bilan a sonné. « J’espère, disait-il à l’endroit des gouverneurs et des chefs d’État, que j’ai été digne de la confiance que vous m’avez faite lorsque vous m’avez élu. »
À bientôt 63 ans, le natif de Byumba, localité située à une soixantaine de kilomètres au nord de Kigali, peut être sûr d’une chose : avant lui, peu de présidents avaient autant imprimé leur marque à la BAD, qui célébrera ses 50 ans en novembre prochain. Pouvait-il en être autrement, quand on se rappelle qu’il avait été choisi avec le meilleur score jusque-là réalisé (78,82 % des suffrages) ? Inamovible ministre des Finances de Paul Kagamé entre 1997 et 2005, celui dont tout le monde dit qu’il a été l’architecte du miracle économique rwandais se devait donc d’être à la hauteur des attentes.
Profil
Septième président de la BAD, il a été formé à l’université de Glasgow (Écosse). Un temps trader à Londres, il a ensuite regagné l’Afrique comme conseiller à l’Organisation interafricaine du café, à Abidjan.
Rentré au Rwanda après le génocide, il est nommé secrétaire d’État au Budget en 1997, puis ministre des Finances. Un poste qu’il a occupé pendant huit ans.
Terrain
Et s’il est une chose qu’il aura incontestablement réussie lorsqu’il quittera son fauteuil l’année prochaine, c’est d’avoir donné une crédibilité internationale certaine à une banque en perte de vitesse dans les années 1990 et renforcé sa visibilité sur le terrain. En août 2013, l’agence de notation américaine Fitch avait ainsi attribué la note triple A à l’institution panafricaine, confirmant sa place parmi les rares banques internationales les plus solvables au monde. Par ailleurs, avec un département de recherche désormais mieux structuré et beaucoup plus efficace, la Banque africaine de développement a activement pris part, ces dernières années, au débat sur les questions de développement sur le continent.
Reconnaissant la maîtrise du terrain économique africain acquise par la banque, la Chine a décidé de lui confier la gestion exclusive de l’Africa Growing Together Funds, un fonds de 2 milliards de dollars (1,5 milliard d’euros) intégralement financé par Pékin. C’est une première. « La BAD saura mieux orienter ce fonds vers les projets de développement les plus pertinents », a expliqué Zhou Xiaochuan, gouverneur de la Banque centrale de Chine. « Cependant, signale le responsable Afrique d’une agence de développement européenne, il ne faut pas oublier que le mérite revient aussi au prédécesseur de Donald Kaberuka, le Marocain Omar Kabbaj, qui a commencé les grands travaux de refondation et de redressement financier de la banque de 1995 à 2005. »
Orthodoxie
Pour hisser l’institution à son niveau actuel, l’économiste rwandais, pur orthodoxe (adepte de la stabilité macroéconomique, grand promoteur d’un secteur privé fort), diplômé de l’université écossaise de Glasgow, s’est notamment appuyé sur des pointures. Parmi elles, l’Américain Joseph Eichenberger, qui a été son vice-président, chargé de la planification, des politiques et de la recherche entre 2006 et 2009 (et ancien vice-président de la Banque asiatique de développement). « C’est notamment avec ce dernier qu’il a réformé et professionnalisé les procédures internes de la banque », estime un économiste français. Un travail qui a entre autres permis à l’organisation, mieux outillée, de faire efficacement face à la crise financière internationale de 2009. Une année au cours de laquelle elle est devenue la première organisation de financement du développement en Afrique, avec un record de 12,6 milliards de dollars de prêts et de dons approuvés.
Chez Donald Kaberuka, il y a une constante. En avril 2006, neuf mois après sa prise de fonctions, il accordait sa première interview à Jeune Afrique. Sa devise à cette époque : « Les Africains doivent se prendre en charge. » Fin mai, à Kigali, soit environ neuf ans après, le discours qu’il a prononcé à l’ouverture des assemblées générales annuelles, ensuite publié sur le site internet de l’institution, est intitulé : « Prendre notre destin en main ».
Il faut croire que c’est une obsession chez cet aîné d’une famille de cinq enfants qui, pour respecter cette ligne de conduite, est réputé très exigeant vis-à-vis de ses collaborateurs. « Il a horreur de l’improvisation », soutient l’un d’entre eux, qui assure qu’il n’hésite pas à se séparer de ceux qui tardent à produire des résultats. Pour exemple, depuis le début de son mandat, il a eu cinq directeurs de la communication.
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Humble
Ancien trader à Londres et ancien conseiller économique à l’Organisation interafricaine du café, à Abidjan, où il a vécu pendant sept ans, « Kaberuka se sent investi d’une mission et ne se laisse pas distraire », témoigne un partenaire qui l’a rencontré dans des réunions fermées. « Quand il a trois mots à dire, il n’en dit pas un de plus. Il a un sens consommé de la communication qui lui permet de trouver les formules justes pour faire passer son message », poursuit notre source, qui ajoute que, au-delà de l’image du banquier dur et austère qu’il peut véhiculer parfois, il y a « un homme humble ».
Au moment où il entame la dernière année de son dernier mandat de cinq ans, une question incontournable se pose : quelle sera la prochaine étape de son parcours ? Lui qui, il y a dix ans, était quasi inconnu est aujourd’hui devenu une grande figure de la finance africaine et internationale.
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